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2018 SPRING

Histoires de pommes de terre

Particulièrement nutritive et issue d’une plante aux nombreuses variétés, la pomme de terre peut parfois se substituer au riz qui est à la base de l’alimentation coréenne, mais elle sert également à confectionner de savoureux condiments et en-cas. Elle mérite donc ce rappel de son histoire et du parcours qui l’a conduite des lointaines Amériques jusque dans l’assiette du consommateur coréen, en passant par l'Europe et la Chine.

Femmes ramassant des pommes de terre dans un champ de Taebaek, un village de la province de Gangwon. Présentant un relief particulièrement montagneux, celle-ci est la principale région coréenne productrice de ces tubercules récoltés entre fin juin et fin août.

Sur son tableau des Mangeurs de pommes de terre, Van Gogh a représenté de manière presque caricaturale des êtres frustes et exagérément gros. Si, dans un premier temps, cette œuvre ne lui attira pas d’éloges, mais bien au contraire des critiques, y compris de la part de son ami Anthon van Rappard, elle s’inscrivait pour son auteur dans la continuité de la peinture de la paysannerie pauvre chez Millet et, par rapport à sa propre production, elle représentait à ses yeux la première qui fasse preuve d’ambition.

À partir de graines enfouies dans le sol, le blé, le riz et l’orge font surgir au grand air des tiges qui se garnissent d’épis. Sous le tapis doré des céréales mûres à point pour la récolte, cette terre qui leur a donné la vie est dès lors invisible. Rien de tel, en revanche, chez cette brave pomme de terre que l’on ramasse à l’endroit même où elle a été semée et ces paysans qui la mangent paisiblement à la lueur faible d’une chandelle semblent tout aussi authentiques qu’elle. Avec leurs mains trop grosses à force de travailler la terre et leur peau aussi brune que celle de ce tubercule, ils ont bien mérité de s’en régaler, pelé et bien chaud, mais dégageant encore la bonne odeur de la terre.

Si les visages expriment ici un contentement empreint de dignité, il faut savoir qu’au XVIe siècle, l’Europe ne fit pas bon accueil à la pomme de terre lors de son vivant, bien du temps s’écoula avant que la pomme de terre ne soit appréciée à sa juste valeur après s’être répandue.

Un aliment recherché lors des disettes

Originaire de la cordillère des Andes, la pomme de terre possède une grande valeur nutritive grâce à sa teneur élevée en glucides, fibres, substances minérales, acide folique et vitamines, notamment la vitamine C que la cuisson à haute température ne fait pas disparaître de cet aliment.

La pomme de terre possède nombre de propriétés nutritives, car, en plus des glucides qui s’y trouvent en quantité, elle renferme de précieuses susbtances minérales telles que le potassium, le magnésium et le manganèse, ainsi que des nutriments comme l’acide folique et les vitamines B1 et B6, celles-ci étant particulièrement riches en fibres. Si sa teneur en vitamines C est certes plus faible que celle des fruits, elle contribue tout de même à la prévention du scorbut dans le cas d’une consommation régulière. Bien avant la découverte de ces substances organiques, savants et gouvernants européens du XVIIIe siècle connaissaient d’ores et déjà les vertus de la pomme de terre, à l’instar des deux grandes figures de son histoire que furent Frédéric II de Prusse, surnommé par ses sujets le « roi de la pomme de terre », et le pharmacien Antoine Augustin Parmentier qui généralisa sa culture en France.

D’emblée, ces paysans qu’elle devait en principe nourrir se montrèrent méfiants et opposèrent quelque résistance à son introduction.qu’accroître leurs réticences.

D’aucuns, la disant responsable de maladies telles que la tuberculose, la lèpre ou le choléra, refusaient même d’y toucher et l’impossibilité de s’en servir pour faire le pain ne faisait

Ce n’est que beaucoup plus tard et après bien des efforts de persuasion qu’ils allaient se rendre à la raison en reconnaissant la valeur et l’importance de cet aliment. L’arrivée de la disette allait finir de les en convaincre et entraîner un essor rapide de sa culture.

En Corée, la pomme de terre fit son apparition lorsque des Chinois venus à la recherche de ginseng sauvage l’apportèrent et la plantèrent, en ce début de XIXe siècle où le gastronome français Anthelme Brillat-Savarin formula le fameux aphorisme : « Dis-moi ce que tu manges et je te dirai qui tu es ». Cette maxime s’avérait des plus pertinentes en ces temps où il existait un abîme entre ce que mangeaient les paysans pauvres et les nobles, l’alimentation n’étant que le reflet de l’appartenance à une classe sociale donnée. Aujourd’hui, s’agissant des habitudes alimentaires, l’accent est davantage mis sur la manière d’accommoder les aliments que sur ces derniers en eux-mêmes et, si la pomme de terre s’est intégrée à celles des Coréens comme des Européens, sa consommation diffère radicalement chez les uns et les autres.

Tandis que les Européens les ont toujours accommodées de multiples façons pour en manger régulièrement, y compris en tentant de confectionner du pain, les pommes de terre servent à accompagner ou remplacer le riz en Corée.

La place de choix du riz

La galette de pommes de terre figure dans l’alimentation des habitants de la province montagneuse de Gangwon. Composées d’une pâte à base d’amidon de pomme de terre fourrée aux haricots mungo, ces pâtisseries cuites à la vapeur allient un goût délicat à un agréable moelleux.

Tandis que les Européens les ont toujours accommodées de multiples façons pour en manger régulièrement, y compris en tentant de confectionner du pain, les pommes de terre servent à accompagner ou remplacer le riz en Corée. Quand survenait la famine, les premières venaient se substituer au second, bouillies ou cuites à la vapeur, et, dans la province de Gangwon dont le relief montagneux n’est guère propice à la riziculture, leur production et leur consommation allaient se répandre d’autant plus rapidement. Les voyageurs qui découvrent cette région ont souvent l’occasion de goûter à davantage de spécialités locales composées de ce tubercule, comme la soupe dite ongsimi ou ces gâteaux appelés gamja ddeok, que dans d’autres provinces coréennes.

Est-ce pour cette raison que l’on nomme « gamja namul » des pommes de terre coupées en fines tranches et sautées à l’huile, alors que ce dernier vocable se réfère d’ordinaire à des herbes et feuilles consommées bouillies, sautées ou crues avec quelques condiments ?

Il va de soi que, dans le cas de la pomme de terre elle-même, tiges et feuilles sont impropres à cette consommation, car appartenant à la famille des solanacées et renfermant, pour la première, ainsi que pour les germes, des glycoalkaloïdes et des composés toxiques qui provoquent diarrhées, vomissements et maux d’estomac, voire, dans le pire des cas, hallucinations, paralysie et décès. L’emploi du terme «namul » au sujet de pommes de terre en tranches sautées s’explique vraisemblablement par le riz qu’elles accompagnent.

Pour les raisons évoquées ci-dessus, il convient d’éviter de manger une pomme de terre à la chair verdâtre, cette teinte lui venant lorsqu’elle est gâtée ou que de la chlorophylle a commencé à s’y former suite à son exposition au soleil et révélant également la présence de solanine, une toxine qui fait partie des glycoalkaloïdes. La chaleur ne faisant pas disparaître celle-ci, il conviendra de couper les parties verdâtres atteintes, et ce, bien que cette substance nocive pour l’homme soit bénéfique pour le tubercule lui-même en le défendant contre les bactéries et les animaux.

Au fil du temps, en parvenant à faire baisser la toxicité des pommes de terre sauvages, les montagnards des Andes furent à même d’en pratiquer la culture et de faire découvrir ces précieux tubercules aux populations d’autres pays du monde dont la Corée. Ils constatèrent en outre que les pommes de terre s’avéraient encore moins toxiques si l’on mangeait en même temps un peu de la terre qui les recouvrait. Selon le professeur Timothy Jones, un spécialiste des sciences de l’alimentation qui enseigne à l’université canadienne McGill, le sol de cette région montagneuse contiendrait des éléments capables de neutraliser les substances toxiques que contient naturellement la pomme de terre en se combinant avec elles.

La galette de pommes de terre confectionnée en faisant frire les tubercules râpés pour obtenir une belle couleur dorée est tout aussi appréciée comme collation que pour accompagner des boissons. Si elle présente toujours cette composition dans la province de Gangwon, les variantes d’autres régions y ajoutent ciboulette, carotte, oignons, champignons et autres légumes.

En outre, les Andins de jadis confectionnaient une préparation lyophilisée, dite « chuño », qui leur donnait le moyen de débarrasser la papa amarga, ou pomme de terre amère, de sa toxicité. Ils congelaient les tubercules en les laissant dehors de nuit, par les températures glaciales de ces hauts plateaux s’élevant à 3 500 mètres d’altitude, pour les soumettre ensuite à une forte luminosité pendant la journée, puis les faire sécher en vue d’une très longue conservation qui pouvait durer jusqu’à vingt ans. C’est en s’en nourrissant que les Incas, voilà des siècles, acquirent la force et l’énergie qui leur permirent de dominer les régions voisines et de perpétuer leur empire, mais cette préparation, de par sa capacité à se conserver longtemps, fut aussi d’un grand secours pour remédier à la pénurie alimentaire.

Cependant, les aliments introduits dans un pays n’y sont que rarement transformés ou accommodés par les mêmes procédés que dans celui dont ils proviennent, comme on peut le constater en Irlande, où la pomme de terre arriva en passant par l’Espagne et l’Italie.

Si les Sud-Américains avaient pu transmettre aux Irlandais leur procédé du chuño, la moitié de la population de ce pays n’aurait pas été décimée par la Grande Famine qui survint à la fin de la première moitié du XIXe siècle.

Outre que les Irlandais n’avaient pas adopté leur précieux savoir-faire, ils ne connaissaient de ces plantes qu’une seule et même variété, dite « lumpers», et les pommes de terre qu’ils produisaient présentaient toutes la même structure génétique qui les rendait ainsi vulnérables au mildiou et explique que cet ensemble de maladies ravagea 90 % des cultures en deux ans. Pareille catastrophe ne se serait jamais produite dans ce berceau de la pomme de terre que sont les Andes, car les habitants des hauts plateaux en cultivaient différentes sortes aux saveurs tout aussi variées.

Selon une étude réalisée en 1995, près de 10,6 d’entre elles sont représentées dans une exploitation péruvienne et pas moins de 5000 sont conservées, par le biais de plants, au Centre international de la pomme de terre de Lima. Aujourd’hui, il y a fort peu de probabilités que se reproduise le désastre qu’a connu l’Irlande où que ce soit dans le monde, ce dont la planète entière est redevable aux peuples andins, puisque plus d’un milliard de ses habitants consomment ces pommes de terre qui se situent désormais au troisième rang des plantes cultivées après le riz et le blé.

Quant à la production sud-coréenne de ce tubercule, elle porte actuellement sur plus de trente variétés différentes se répartissant globalement en deux catégories selon la consistance que leur confère la cuisson. Les pommes de terre à chair farineuse, qui se caractérisent par leur forte teneur en amidon, se défont facilement après avoir cuit, tandis que celles à chair ferme en contiennent moins, mais présentent un plus fort taux d’humidité et durcissent à la cuisson, la variété la plus prisée des Coréens, dite sumi, c’est-à-dire « supérieure» se situant entre les deux premières par ces caractéristiques. Ces derniers temps, il semble que les Coréens recherchent toujours plus de diversité dans ce domaine et fassent ainsi leur la sagesse des paysans andins.

Jeong Jae-hoon Pharmacien et chroniqueur culinaire

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