Depuis la trêve qui a mis fin à la guerre de Corée voilà soixante-cinq ans, la politique sud-coréenne s’est avérée très fluctuante vis-à-vis de Pyongyang et la culture populaire s’est notamment fait l’écho de ces constantes évolutions, en particulier dans la production cinématographique.
      
          
            Shiri, de Kang Je-gyu (1999)
             
            Secretly Greatly, de Jang Cheol-soo (2013)
             
      
          
            JSA (Joint Security Area), de Park Chan-wook (2000)
             
            Frères de sang, de Kang Je-gyu (2004)
             
      
          
            Welcome to Dongmakgol, de Park Kwang-hyun (2005)
             
            The Agent, de Ryoo Seung-hwan (2012)
             
       
         Un coup d’État imaginaire en Corée du Nord met en présence un officier nord-coréen et un haut fonctionnaire sud-coréen qui vont agir de concert pour éviter le déclenchement d’une guerre nucléaire.
         L’histoire du cinéma coréen a connu un tournant avec le film Shiri qui, à sa sortie en 1999, allait battre tous les records par son budget de 3,1 milliards de wons comme par ses résultats au box-office, puisqu’il a été vu par 5,82 millions de personnes dans tout le pays et par 2,45 millions à Séoul, le seul long métrage à avoir franchi le cap du million de spectateurs à Séoul étant le drame musical intitulé Sopyonje ou La chanteuse de Pansori et présenté six ans plus tôt. 
      Le succès de Shiri, réalisé par Kang Je-gyu, a démontré que les superproductions nationales avaient de l’avenir et déclenché ainsi la réalisation d’autres films à gros budget de style hollywoodien, tout en stimulant l’ensemble de la création. 
      Pour expliquer une telle prouesse commerciale, il suffit d’évoquer la lecture originale que fait cette première oeuvre de l’histoire mouvementée des relations intercoréennes en abordant pour la première fois la question sensible de la réunification.
      Une thématique nouvelle pour un nouveau départ
         Ce film à suspense dont le titre est constitué du mot « shiri », qui a pour autre transcription « swiri » et désigne un poisson d’eau douce vivant aux confins des deux pays, évoque le travail accompli par les agents de renseignement sud-coréens pour déjouer les menées terroristes de Pyongyang. La tension y est à son paroxysme lorsque les deux pays amorcent un rapprochement par le sport lors d’un match de football auquel assistent leurs dirigeants respectifs. Déterminés à saboter cette manifestation propice à la réconciliation, les agents secrets nord-coréens commettent un attentat à la bombe dans le stade. Cette tentative de déstabilisation du régime sud-coréen révèle les tensions et l'hostilité qui règnent alors sur la péninsule. L’affrontement meurtrier qui s’ensuit se termine dans un bain de sang, l'amour né entre la meurtrière et son ennemi n’en demeurant pas moins sincère et Shiri présentant les Nord-Coréens selon un nouveau jour, à savoir qu’ils sont unis aux Sud-Coréens par une même origine, et non en conflit avec eux. 
         Les aspirations à la fin de la Guerre froide se concrétiseront, à peine un an plus tard, par la visite inattendue que rendra le président sud-coréen Kim Dae-jung à son homologue Kim Jong-il et leur rencontre marquera le premier sommet intercoréen depuis la partition de 1945. Une fois la glace rompue, ces dirigeants allaient entreprendre des changements radicaux sur les plans politique et diplomatique.
         Trois mois plus tard, était distribué un film dont le titre JSA est le sigle signifiant « Joint Security Area », un lieu également connu sous le nom de « Panmunjom », et, dans les circonstances favorables de la réunion qui venait de se tenir, il allait attirer pas moins de 2,51 millions de spectateurs dans la seule capitale.
          L’intrigue y a pour point de départ une fusillade qui éclate entre des soldats des deux pays chargés de garder ce lieu emblématique de leur affrontement. À la plus grande surprise des enquêteurs, il s’avérera que des contacts ont été pris secrètement et que des rencontres cordiales se sont produites avant cet incident, ce qui témoigne clairement d’un désamorçage des tensions le long de cette zone, dite démilitarisée, qui est en réalité la frontière la plus lourdement armée au monde.
          
      Le sujet sensible de la réunification
         Grâce aux acquis des luttes pour la démocratie qui se sont déroulées en juin 1987 et à la nomination d’un premier gouvernement civil en 1993, la vie aconsidérablement changé pour les Sud-Coréens qui jouissaient désormais de beaucoup plus de liberté. Pour autant, l’image que se faisaient ceux-ci de la Corée du Nord n’allait guère évoluer dans les années 1990, divisés qu’ils étaient entre des conservateurs prônant une vigilance inflexible et des progressistes appelant à plus de coopération et de confiance. Comme toujours asservie à la loi anticommuniste de 1948 sur la sécurité nationale, l'industrie du divertis-sement allait continuer de s’imposer une censure. 
         Tandis que Shiri n’avait abordé qu’indirectement ce thème en greffant une histoire d’amour sur une intrigue liée à l’espionnage, JSA allait en traiter plus ouvertement par le biais de l’amitié nouée par des agents des deux pays, ce qui a fait dire à son réalisateur Park Chan-wook : « Si on doit m’arrêter, je me tiens prêt ».
          
            Des agents secrets recueillent des renseignements sur les défenses nord-coréennes en vue du débarquement d'Incheon de septembre 1950, une opération amphibie américaine qui a marqué un tournant dans la Guerre de Corée.
             
      Un genre en plein essor
         Dans les années 2000, le cinéma coréen s’est lancé dans la production de films à gros budget prenant pour thème la Guerre de Corée, mais centrés sur les émotions, pensées ou relations des gens plutôt que sur l’opposition au communisme. D’un point de vue politique, cette tendance intervenait dans le contexte de la présidence de Roh Moo-hyun, un progressiste qui avait repris la politique, dite « de l’embellie », entreprise par son prédécesseur, Kim Dae-jung, en vue de la coopération et de la réconciliation avec la Corée du Nord. 
         En 2003, le film Silmido allait ainsi établir un véritable record en attirant 11 millions de spectateurs et être ovationné par la critique pour la manière originale dont il traite des relations intercoréennes tout en se basant sur les faits réels suivants. En avril 1968, un commando composé de marginaux et délinquants est mis sur pied et chargé d’éliminer le dirigeant nord-coréen Kim Il-sung en représailles à la tentative d’assassinat perpétrée au domicile du président sud-coréen par Pyongyang. Ce commando, qui porte le nom d’Unité 684 va être soumis à un impitoyable entraînement sur l’île de Silmi située au large d’Incheon, mais celui-ci tournera court suite au réchauffement des relations entre les deux pays et, en août 1971, ses membres abandonnés à leur triste sort se débarrasseront de leurs gardes, puis quitteront l’île et détourneront un car à destination de Séoul, mais seront pour la plupart abattus lors d'un échange de tirs avec des militaires. Le film de Kang Woo-suk, qui a appris au public l’existence de ce commando, présente ses membres comme les boucs émissaires d’un désaccord opposant les membres du gouvernement en matière de politique nord-coréenne. 
         L’année suivante allait voir la réalisation par Kang Je-gyu du film Frères de sang, qui allait surpasser les résultats de Silmido au box-office en atteignant près de 12 millions d'entrées. À travers l’histoire de deux frères, il conte le tragique destin d’une famille sud-coréenne confrontée aux affres de la guerre. Endurci et désabusé, l’un des fils s’engage dans l'armée nord-coréenne et les frères finissent par brandir leurs armes l’un contre l’autre. Contrairement aux personnages dépeints dans les productions habituelles, qui mettent toujours en avant l’idée des « rouges » nord-coréens, ces derniers apparaissent ici comme des jeunes gens qui ne diffèrent guère de ceux de Corée du Sud, voire comme leurs frères, ce qui a particulièrement touché le public. 
         Enfin, Welcome to Dongmakgol, sorti en salle en 2005, porte un regard humaniste sur la guerre en faisant se rencontrer des soldats des deux pays et un pilote américain à Dongmakgol, un village perdu dans les montagnes dont les habitants ignorent que la guerre fait rage. Ayant détruit par mégarde les réserves alimentaires de la population, les militaires estiment qu’il est de leur devoir de les aider à passer l’hiver et, ce faisant, la haine qui les habitait disparaît peu à peu au profit de sentiments qui transforment les amis d’hier en amis, et non des ennemis. La thématique et le traitement originaux de ce film lui ont valu un succès montrant que les événements les plus traumatisants peuvent être abordés sous un angle absurde ou imaginaire qui peut interpeller le public et brisant ainsi ce qui relevait quasiment d’un tabou.
          
      Une distribution éclair
         
             
               Un groupe de marginaux subit un entraînement spécial dans le but de supprimer le dirigeant nord-coréen Kim Il-sung. Ce film inspiré d’événements réels est la première production coréenne à avoir franchi la barre des dix millions d’entrées.
               En 2008, accédait à la présidence de la République le politicien conservateur Lee Myung-Bak, qui n’avait cessé de dénoncer la poursuite par la Corée du Nord de ses activités de production d’armes nucléaires à l’époque de ses prédécesseurs Kim Dae-jung et Roh Moo-hyun et allait ouvrir une parenthèse dans leur « politique d’embellie ». Dorénavant, le cinéma allait en parallèle être moins porté à se faire le vecteur de messages idéologiques ou philosophiques en faveur de la réconciliation qu’à rechercher en priorité le succès commercial. Cette tendance n’était pas sans rappeler le slogan de campagne qui présentait l’ancien chef d'entreprise comme « le président économiste ».A Better Tomorrow, qui s’inspirera en 2010 du grand classique hongkongais éponyme de 1986 dû à John Woo, est un remake d’un film de gangsters coréen intitulé Mujeokja, c’est-à-dire « invincible » ou « apatride », et a pour propos l’idée reçue totalement fantaisiste que les réfugiés nord-coréens sont tous de froids tueurs.
             
         Quant au film commercial 71: Into the Fire, il évoque la bataille du Nakdong, qui figure parmi les plus sanglantes de la Guerre de Corée, sous un angle caractéristique des vieux films anticommunistes et, s’il ne revendique pas ouvertement ce point de vue, il n’exprime pas d’opposition de principe à la guerre, car celle-ci relève ici d’un genre purement commercial.
         À l’époque de ce même chef d’État, seul The Front Line se livrera à un traitement sérieux de la question de ce conflit en soulignant la futile témérité d’offensives au succès éphémère.
         Dans la production cinématographique consacrée à la Corée du Nord, les agents secrets auront la vedette au cours de l’année 2013, qui a marqué l’entrée en fonction à la présidence de la République de Park Geun-hye, elle-même également conservatrice et fille d’ancien président. Après avoir été élu au plus fort de la Guerre froide, son père Park Chung-hee allait, en 1968, être la cible d’un attentat commandité par Pyongyang qui allait entraîner la création de l’Unité 684 sur l’île de Silmi, nul ne l’imaginant donc animée d’un esprit de conciliation.
         C’est dans ce contexte que les films Berlin et Secretly, Greatly, en recourant à une formule éprouvée, allaient réaliser un succès commercial considérable et attirer respectivement 7,2 millions et 6,96 millions de spectateurs. Le premier narre la petite guerre que se mènent entre eux espions nord- et sud-coréens en poste à Berlin, tandis que le second, qui est une comédie, brosse le portrait d’un groupe hétéroclite de jeunes espions nord-coréens oubliés de leur pays, mais élevés au rang de héros en Corée du Sud. Adapté d’un webtoon, ce film allait remporter un succès retentissant et, pour la jeune génération, la figure de l’« espion nord-coréen » allait désormais se présenter sous les traits d’une sorte de séduisant pirate, alors que pour les plus âgés, elle évoque immédiatement des agents armés jusqu’aux dents tels que Kim Sin-jo, l’auteur de l’attentat de 1968.
         Les films se déroulant sur fond de relations intercoréennes ont toujours appartenu à un cinéma commercial où prédomine l’image de la « machine à tuer » que serait le soldat nord-coréen, mais qui se caractérise aussi par son conservatisme, sans pour autant donner complètement dans l’anticommunisme, à l’instar de Northern Limit Line et de Battle for Incheon: Operation Chromite respectivement produits en 2015 et 2016. Retraçant la bataille navale que se livrèrent les deux pays en juin 2002 au large de l’île de Yeonpyeong située dans la mer de l’Ouest, le premier allait être vu par six millions de personnes, mais, avant même sa production, il avait déclenché une polémique ayant trait à l’influence exercée par le pouvoir en place sur ce film jugé très conservateur de l’avis général, ses excellents résultats démontrant par la suite que l’idéologie aussi se vend bien, jusqu’auprès des soldats, qui allaient le voir en groupe. 
         Autre film commercial, Battle for Incheon a aussi suscité une division entre progressistes et conservateurs dès sa production. L’intrigue se déroule pendant la Guerre de Corée et a pour point de départ l’audacieux pari du débarquement américain d’Incheon que font les coalisés avec pour objectif de réduire de moitié les forces de l’envahisseur nord-coréen. Dans l’une de ses scènes, un officier nord-coréen présenté comme l’incarnation du mal braque son arme sur une personne de sa famille qui ne partage pas ses opinions politiques, tandis que le général américain Douglas MacArthur fait figure de héros. Privilégiant la catharsis des vainqueurs au détriment de l’évocation des horreurs de la guerre, ce film allait séduire pas moins de sept millions de spectateurs par une exploitation commerciale des thèmes idéologiques et une représentation spectaculaire de la guerre.
         
             
               Réalisé sous la présidence de la République du conservateur Lee Myungbak, ce film courageux montre la guerre dans toute son absurdité en évoquant l’ultime bataille qui précéda l’armistice de la Guerre de Corée.
                
               Ce film à l’idéologie conservatrice retrace les circonstances de la bataille navale qui a opposé les deux Corées en juin 2002 le long de la frontière maritime qu’elles avaient reconnue de facto.
                
          
      Créations de l’imagination et réalité
         L’année dernière, le film The Fortress allait faire redécouvrir au public la deuxième invasion mandchoue de 1636 à un moment où les tensions intercoréennes étaient portées à leur paroxysme par les tirs de missiles nucléaires effectués à titre d’essai par Pyongyang. L’intrigue, qui se déroule dans la forteresse de montagne de Namhan où s’est réfugiée la cour de Joseon, évoque les vives dissensions qui opposent deux factions rivales en la personne de Kim Sang-heon, partisan de repousser les troupes des Qing, et de Choe Myeong-gil, qui souhaite un règlement pacifique du conflit. 
         Le premier, qui est chargé des affaires de la culture et de l’éducation, argue de la nécessité d’une riposte de Joseon en ces termes : « Plutôt mourir que vivre dans le déshonneur », ce à quoi rétorque le ministre de l’Intérieur Choe Myeong-gil : « Nous nous devons de vivre pour faire triompher la justice et oeuvrer à de nobles causes ». Aujourd’hui, on retrouve les raisons qu’ils invoquent dans le clivage qui oppose conservateurs et progressistes sur la question des relations intercoréennes.
         Fin 2017, quelques mois à peine après que la présidente Park Geun-hye eut été mise en accusation pour corruption et que le progressiste Moon Jae-in lui eut succédé, le film Steel Rain allait partir à l’assaut des salles obscures dans une atmosphère de confiance générale de la population dans l’avenir des relations intercoréennes et près de 4,5 millions d’entrées allaient être enregistrées au box-office. Il a pour personnages principaux deux agents secrets sud- et nord-coréens qui finissent par comprendre que le drame de la division résulte moins d’une réelle menace en provenance de l’ennemi que des ambitions de ceux qui exploitent cette situation pour se maintenir au pouvoir. Oubliant leurs divergences idéologiques, les deux hommes décident de s’allier pour mettre un terme à la guerre nucléaire et c’est cette dimension humaine du film qui a séduit le public, plus que ses scènes de combat spectaculaires.
         Au vu des évolutions intervenues dans la représentation des relations intercoréennes au septième art, il s’avère qu’elles ont toujours été le reflet des orientations de la politique nord-coréenne adoptée par les gouvernements successifs, l’alternance entre les périodes d’affrontement et de rapprochement qu’évoquent ses productions traduisant la prédominance de tendances conservatrices ou progressistes. Inversement, les points de vue et valeurs exposés dans ses œuvres exercent aussi une influence sur l’image que se font les Sud-Coréens de la Corée du Nord.
          
         
         
            Films indépendants sur les réfugiés nord-coréens
            
            Le cinéma indépendant se distingue par une thématique originale et une sincérité de ton que n’ont pas les productions commerciales. En Corée, il a consacré quelques-uns de ses films à la vie des réfugiés nord-coréens et aux difficultés d’intégration qu’ils rencontrent dans leur pays d’accueil à l’économie capitaliste.
             
               Une Sud-Coréenne et une Nord-Coréenne réfugiée se rejoignent par le combat qu’elles ont à mener, l’une pour échapper au poids des traditions patriarcales de son pays et l’autre pour y réussir son intégration.
               Sorti en salle fin 2017, The Namesake campe les personnages de deux femmes sud-coréenne et nord-coréenne dont le même prénom se prononce différemment dans leurs pays respectifs. 
            Ryeon-hui, meurtrie par la perte de sa fille survenue lors de son départ de Corée du Nord pour fuir une existence trop dure, découvre à son arrivée en Corée du Sud que la vie n’y est guère plus facile. Dans la supérette ouverte la nuit où elle travaille à mi-temps, elle est en butte au mépris de la clientèle et de ses collègues, comme en font l’expérience nombre de réfugiés nord-coréens. Yeon-hui se heurte aussi aux aléas d’un quotidien où règne l’indifférence, car, après avoir fait une fugue pour échapper à un père violent, elle porte en elle un enfant qui naîtra de père inconnu. 
            Comme l’annonce la phrase d’accroche de l’affiche, il s’agit donc d’une femme qui a fui sa famille et d’une autre qui a fui son pays, le film ayant pour propos de mettre en parallèle le sort des réfugiés avec la condition féminine dans une société patriarcale.
            Lorsque la première surprend la seconde en train de dérober un gimbap dans son magasin, une amitié inattendue se noue immédiatement entre elles et, quand Yeon-hui accouchera par la suite, Ryeon-hui chassera peu à peu les démons qui la hantent depuis la mort de sa fille. La relation tissée par ces deux femmes, que leur situation vouait à l’isolement pour des raisons différentes, permet ainsi à chacune de surmonter ses problèmes. À travers leur rencontre, le film traite aussi de l’aspiration à la parité hommes-femmes qui se manifeste aujourd’hui de plus en plus dans tous les pays, ainsi que dans la vie que mènent les réfugiés nord-coréens. 
            Très remarqué il y a quatre ans, lors de sa présentation au festival Mise en scène de courts métrages, le film Myung-hee aborde leurs problèmes sous un autre angle en montrant le quotidien d'une jeune Nord-coréenne à la manière d’un documentaire. Alors que d’autres s’intéressent surtout aux circonstances dans lesquelles se sont enfuis les réfugiés au péril de leur vie, le cinéaste a fait ici le choix de présenter jour après jour l’existence d’une femme qui a réussi son intégration. 
            La première scène du film se déroule dans le décor banal d’une salle de sport où Myung-hee fait de l’exercice en compagnie d’une amie et engage la conversation avec Su-jin. S’étant liée d’amitié avec elle, Myung-hee lui propose de l’aider à tenir sa boutique de mode sans exiger de rémunération, car elle n’accorde pas d’importance à l’argent. « Là-bas, il fallait casser des cailloux dehors en plein hiver », explique-t-elle, considérant que c’est en amie qu’elle donne un coup de main au magasin. Son entourage y voit plutôt de l’insouciance, car tout travail mérite salaire dans un pays capitaliste et Myung-hee commence à voir les choses différemment en s’entendant demander si elle veut être traitée en esclave. Elle finira par laisser éclater sa colère en déclarant à ses amis : « J'ai risqué ma vie pour venir ici, alors je mérite davantage de respect de votre part », cette scène ayant pour but de souligner le mépris et la condescendance que manifestent souvent les Sud-Coréens à l’encontre des réfugiés.
            
                
                  Une réfugiée nord-coréenne se heurte aux difficultés que posent les différences de mentalité et de système économique de son pays d’accueil.
                   
                  Plusieurs fois primée à l’étranger, cette œuvre néoréaliste dépeint la condition des réfugiés nord-coréens.
                   
            Parmi les films indépendants les plus remarquables, figure aussi The Journals of Musan, qu’ont récompensé pas moins de seize prix dans le cadre de plusieurs festivals internationaux, dont le Tigre du Festival international du film de Rotterdam et le prix de la Fédération internationale des critiques de cinéma également décerné lors de cette manifestation, ainsi que les grands prix du Festival international Andreï Tarkovsky et du Reel Asian International Film Festival de Toronto. À l’issue de cette dernière manifestation, les membres du jury ont justifié le choix qu’ils ont fait à l’unanimité de saluer cette œuvre par le portrait qu’elle brosse d’un personnage animé d’une authentique volonté de s’en sortir et par la manière dont elle montre que son histoire à la fois dure et touchante révèle la bravoure dont il fait preuve dans son combat pour l’intégration. Le succès rencontré par ce film dans des compétitions internationales tient certainement à sa vision du monde d’inspiration néoréaliste, car il révèle les conditions d’existence auxquelles sont confrontées les populations marginalisées de Corée du Sud en montrant de façon très crue comment doit se battre pour vivre le réfugié Jeon Seung-Cheol, qui est originaire de la ville de Musan située dans la province de Hamgyong du Nord et dont le nom signifie aussi« démuni » en coréen. 
            Vivant au jour le jour d’un travail de colleur d’affiches, Seung-cheol a peu d’espoir de connaître un avenir meilleur et les violences verbales comme physiques qu’il doit subir font de son quotidien un test de survie semé de périls. Ses seules consolations sont les moments passés à l’église, où tous les hommes sont les fils de Dieu, et un chiot recueilli en qui il voit un compagnon de misère.
            Le véritable réfugié dont s’inspire ce personnage se nomme Kim Man-cheol et a fui la Corée du Nord avec les siens en 1987 à bord d’une petite embarcation. Dans la conférence de presse qu’il accorda peu après son arrivée, il déclara avoir voulu partir pour « une contrée chaude du sud ». Pour le Seung-cheol du film, en revanche, un tel pays n’existe pas et seule l’attend une dure réalité.