Le Père Ben Torrey œuvre à la formation des jeunes générations de Sud-Coréens qui connaîtront la réunification de la péninsule, dont l’avènement est à ses yeux imminent. Dans l’accomplissement de son ministère comme par son travail sur le terrain, il perpétue les liens vieux de plus d’un siècle qu’a tissés sa famille sur pas moins de quatre générations avec les habitants de son pays d’accueil.
Le Père Ben Torrey répond aussi au nom coréen de Dae Young-bok, qui lui a été donné en l’honneur de son père, le défunt Père Reuben Archer Torrey III, qui portait lui-même celui de Dae Chon-dok. Le père Torrey s’est établi en Corée en 2005 en compagnie de son épouse et se consacre aujourd’hui à la formation de futurs « agents de médiation en vue de la réconciliation et de la réunification » dans le cadre du projet de la « Quatrième Rivière » qu’il a mis sur pied.
Situé en haute montagne, dans cette chaîne du mont Taebaek qui parcourt la province de Gangwon, le bassin versant de Samsuryeong, dont le nom signifie littéralement « passage des trois eaux », est alimenté par plusieurs cours d’eau coulant en direction de l’est, de l’ouest et du sud. En remontant vers le nord, une rivière bien différente irrigue la région environnante, puisqu’il s’agit de la formation que dispense le Père Ben Torrey, dans le cadre de son projet dit de la « Quatrième Rivière », à l’intention des générations futures qui connaîtront la réunification.
Pour cet homme d’Église, il ne fait aucun doute que l’événement se produira du vivant de la « génération du millénium » que composent les jeunes âgés de 20 à 30 ans. Conscient du travail qui reste à accomplir pour qu’ils s’y préparent, il a entrepris, voici neuf ans, de leur apporter à cet effet les savoirs et compétences nécessaires dans le cadre de son programme appelé « Quatrième Rivière ».
Celui-ci consiste en cours de formation proposés par le Centre de Samsuryeong qui se trouve à Taebaek, une ancienne ville minière vouée à l’extraction du charbon et située à 200 kilomètres au sud-est de Séoul. Cet établissement comporte l’École de la Rivière de Vie, une école secondaire alternative, et la Maison des jeunes des Trois Mers.
Dirigé par Liz Torrey, la femme du pasteur, le premier de ces lieux a vocation à former de futurs « agents de réconciliation et de réunification » en mettant l’accent sur l’esprit de coopération et d’entraide que ceux-ci doivent acquérir, ce en quoi il s’inscrit en rupture avec l’impératif de concurrence mis en avant dans le système scolaire, sans pour autant manquer à l’obligation de suivre les programmes d’enseignement du collège et du lycée ni à celle du perfectionnement physique et intellectuel de ses élèves.
« La formation des jeunes dirigeants de demain s’impose dès aujourd’hui, car le pays aura besoin d’eux quand il se haussera au rang de grande puissance mondiale suite à la réunification », estime le Père Ben Torrey.
« D’ores et déjà, il ne manque évidemment pas d’éléments brillants dans la jeunesse sud-coréenne. Toutefois, cette dernière ne manifeste aucun intérêt pour celle de Corée du Nord, pas plus qu’elle ne la comprend », poursuit-il.
« Quand la réunification aura eu lieu, elle continuera de poser certains problèmes, voire de présenter des risques, en raison des différences qui existent dans les valeurs et la vision du monde, ainsi qu’au niveau culturel et linguistique. Il convient donc de se préparer à cette échéance avec le plus grand sérieux, en tirant des enseignements de ce que les Allemands ont vécu après la chute du mur de Berlin. Ce travail doit commencer dès maintenant. C’est l’objectif auquel répond le projet de la Quatrième Rivière ».
Le Père Ben Torreys’adressant à ses élèves dans la salle de classe aménagée dans la chapelle du Centre de Samsuryeong situé à Taebaek, cette ville de la province de Gangwon qui se consacra autrefois à l’extraction du charbon, mais connaît aujourd’hui un nouvel essor.
Le Père Ben Torrey présentant aux étudiants le fonctionnement du bassin versant de Samsuryeong, ce « passage des trois eaux » alimenté par des rivières coulant vers l’est, l’ouest et le sud.
L’héritage familial
Le Père Ben Torrey est issu d’une famille dont la présence en Corée remonte à quatre générations et à l’arrivée de son arrière-grand-père, le révérend Reuben Archer Torrey (1856-1928), alors missionnaire en Chine. Son fils, le révérend Reuben Archer Torrey Jr. (1887-1970), suivit sa voie dans ce pays, ainsi qu’en Corée, où il allait participer à la restauration d’églises à la fin de la Guerre de Corée. Enfin, le Père Reuben Archer Torrey III allait travailler à la reconstruction du Séminaire théologique Saint-Michel, qui deviendrait plus tard l’Université Sungkonghoe située dans le sud-ouest de Séoul, et faire édifier l’Abbaye de Jésus à six kilomètres de Taebaek pour y créer une communauté d’ascètes.
Quant au Père Ben Torrey, s’il appartient à l’Église assyro-chaldéenne d’Amérique du Nord, son père fut membre de l'Église anglicane et ses arrière-grand-père et grand-père, respectivement pasteurs des Églises congrégationaliste et presbytérienne.
Né dans l’État américain du Massachusetts en 1950, le Père Ben Torrey a vécu une première fois en Corée dès l’âge de sept ans et jusqu’à dix-neuf ans. En compagnie de dix jeunes Coréens, dormant sous une tente militaire, il allait aider son père à construire le premier bâtiment de l’Abbaye de Jésus en 1965 sur un terrain dont son père avait fait l’acquisition dans les environs de Taebaek grâce aux conseils de ses paroissiens de confession anglicane.
L’appel de la vocation
En 1969, le Père Torrey repartait pour les États-Unis afin d’y effectuer ses études universitaires et, s’il revint en Corée en 1978 et 1979 pour se joindre à d’autres travaux de construction dans la région de Samsuryeong, il ne projetait nullement de s’y établir pour de bon. Après avoir poursuivi une carrière d’informaticien, il y mit un terme en 1994 pour se consacrer à la création d’une école de missionnaires dans le Connecticut, la King’s School, dont il allait assurer jusqu’en 2004 la présidence, ainsi que celle de sa fondation.
C’est en 2002, lors des obsèques de son père plus connu sous son nom coréen de Dae Chon-dok, qu’allait lui venir son idée de Quatrième Rivière en entendant un ami de longue date du regretté Père Torrey III affirmer que si Samsuryeong possédait trois rivières, il y en avait quatre au Jardin d’Éden.
Cette remarque allait aussitôt lui évoquer le rêve qu’avait toujours nourri son père de construire un établissement destiné à former les jeunes à la future réunification coréenne. Par la suite, loin d’oublier son idée, il n’aura de cesse qu’elle soit réalisée. Dès l’année suivante, convaincu de la nécessité de préparer les jeunes générations à l’ouverture de la Corée du Nord, il annoncera aux religieux de l’Abbaye de Jésus son intention d’intégrer celle-ci à la communauté des abbayes. Aussitôt choisi pour prendre la tête de la Maison de la jeunesse dite « des Trois Mers », le Père Ben Torrey, en compagnie de son épouse, allait revenir à Gangwon en 2005, tandis que leurs deux fils et leur fille continuaient leurs études aux États-Unis.
« Nous nous employons à
insuffler un esprit de coopération
et à inciter à travailler ensemble
plutôt qu’en concurrence, car cette
approche constitue la clé du succès
de la réunification ».
Cours et corvées
L’enseignement dispensé par l’École Rivière de Vie ajoute aux programmes du cycle secondaire des matières portant sur la Corée du Nord, dont l’étude comparative de la langue, de l’histoire et de la structure sociale des deux pays, la bibliothèque qui s’y trouve fournissant une abondante documentation dans ces divers domaines.
De l’avis du Père Ben Torrey, l’enseignement actuel encourage par trop un esprit compétitif peu propice à l’écoute et à la compréhension de ce qui se passe en Corée du Nord. « À l’avenir, prévoit-il, seuls pourront prétendre à un rôle de dirigeant ceux qui savent se montrer sensibles aux difficultés de sa population et dialoguer avec elle malgré les écarts de développement. Nous nous employons donc à insuffler un esprit de coopération et à inciter à travailler ensemble plutôt qu’en concurrence, car cette approche constitue la clé du succès de la réunification ».
Le travail occupe aussi une place importante dans le cursus de l’École, conformément aux enseignements de Saint-Benoît, qui exhortait à « prier et travailler » par les mots latins « ora et labora ».
Quand vient le mercredi, nombre de tâches attendent chacun à l’Abbaye de Jésus, qui abrite, outre l’École et la résidence du Père Ben Torrey, les membres de la communauté interconfessionnelle d’ascètes, la Maison de la jeunesse et la Ferme des Trois Mers formant les agriculteurs coréens à l’élevage du bétail.
Il s’agit de travaux de nettoyage, de jardinage, de désherbage et d’élagage des arbres, ainsi que d’ensemencement des pâturages et de lessive.
D’une superficie de cinquante hectares, ces terres louées à l’Office coréen des forêts par le Père Reuben Archer Torrey III servent aussi aux classes de plein air, nature et labeur y coexistant donc en parfaite harmonie. Pour le Père Ben Torrey, c’est par le travail que s’apprend l’entraide et, dans son adolescence, il a aidé son père à bâtir l’Abbaye de Jésus quatre années durant en coupant du bois, ce qu’il fait aujourd’hui encore pour chauffer les locaux.
L’été passé, il y a organisé une rencontre d’une semaine avec les jeunes d’autres établissements afin de les inciter à chercher à mieux comprendre leurs voisins de Corée du Nord et à se préparer à l’ouverture de ce pays. Il a demandé aux participants de s’abstenir de se servir de leur téléphone portable pendant tout leur stage. La construction d’un nouveau local est en cours afin d’accueillir un effectif plus important d’élèves, qui y disposeront d’un dortoir.
À la soixantaine de membres de la communauté de l’Abbaye de Jésus, s’ajoutent, le temps d’une visite, des personnes extérieures qui, moyennant réservation, peuvent y séjourner du lundi au mercredi afin de partager travaux et repas, ainsi que trois méditations quotidiennes et des prières pour le salut d’autrui, plutôt que d’eux-mêmes. Ces visiteurs sont également tenus de remettre leur téléphone portable à leur arrivée. Si l’hébergement leur est fourni à titre gracieux, puisque l’Abbaye bénéficie de dons, toute contribution de leur part est la bienvenue.
Depuis le mois de mai dernier, désireux d’agrandir sa communauté de Samsuryeong, cette Quatrième Rivière, le Père Ben Torrey s’efforce à cet effet de recueillir des fonds, sans jamais douter que Dieu lui viendra en aide. Ses véritables sources de préoccupation portent sur les conflits et divisions qui affaiblissent l’Église comme la société sud-coréenne et face auxquels il affirme avec force : « Il faut absolument rétablir la cohésion nationale en vue de la réunification ».
Située à dix minutes de route du Centre de Samsuryeong, l’Abbaye de Jésus abrite la communauté chrétienne interconfessionnelle qu’a créée le Père Reuben Archer Torrey III en 1965, ainsi que la résidence du Père Ben Torrey.
Kim Hak-soonJournaliste et professeur invité à l’École des médias et de la communication de l’Université Koryeo
Heo Dong-wukPhotographe