Dans les films et feuilletons coréens, le nombre croissant d’histoires de morts-vivants a de quoi surprendre, sachant que le public de ce pays apprécie surtout les fictions proches de la réalité. Si cette tendance est encore trop récente pour pouvoir parler d’un genre spécifique du pays, les professionnels étrangers ont remarqué une certaine originalité dans les personnages et le jeu des acteurs.
Il y a encore peu, les séries B de morts-vivants n’étaient appréciées que par un petit nombre d’inconditionnels, à l’instar du film d’épouvante américain I Am Legend dont le héros est un scientifique luttant contre une épidémie de peste qui tue et fait revivre des morts anthropophages dans un décor post-apocalyptique. S’il n’allait attirer que 2,64 millions de spectateurs coréens lors de sa sortie en 2007, c’est-à-dire beaucoup moins que dans nombre de pays, la production à gros budget World War Z qui lui a succédé en 2013 allait réaliser un bien meilleur résultat, car vue par 5,3 millions de personnes, sans pour autant enregistrer un grand succès au box-office. En dépit de son scénario et d’une prestigieuse distribution où figuraient les stars de Hollywood Will Smith et Brad Pitt, elle n’est pas parvenue à séduire massivement le public coréen.
Trois ans plus tard, le film Train to Busan va pourtant révolutionner les goûts dans ce domaine en l’espace de quelques heures, puisque pas moins de 11,6 millions de spectateurs coréens vont accourir dans les salles obscures et le propulser au quinzième rang du box-office. Novateur au septième art coréen par ses personnages de morts-vivants, ce film a aussi séduit les usagers de Netflix, le géant de la diffusion vidéo, et son remake américain est déjà en préparation à l’issue d’une vive concurrence entre plusieurs studios hollywoodiens désireux d’en racheter les droits.
Depuis sa première diffusion en janvier dernier sur Netflix, la série télévisée sud-coréenne Kingdom remporte plus de succès à l’étranger que dans son pays d’origine, ses fidèles spectateurs étrangers y ayant avant tout apprécié la reconstitution pittoresque de scènes de la vie au temps du royaume de Joseon. © Netflix
Une lecture différente
Dans Train to Busan, le passager d’un train transmet aux autres le virus des morts-vivants qu’il a précédemment contracté et sème la terreur en provoquant une hécatombe, seule une poignée de voyageurs survivant jusqu’à l’arrivée à Busan, deuxième ville du pays qu’a épargnée le fléau. Le metteur en scène y adresse quelques clins d’œil à The Host, ce film à suspense mêlant épouvante et science-fiction qui a battu tous les records de places vendues lors de sa mise à l’affiche en 2006, ainsi qu’à deux autres productions ayant également pour point de départ une épidémie de peste, Deranged (2012) et The Flu (2013). Dans leurs trois scénarios, les responsables tardant à prendre des mesures, la population en est réduite à prendre les choses en mains, et Train to Busan s’inscrit donc dans leur continuité en montrant un gouvernement impuissant à combattre la contagion par les morts-vivants.
Le succès de Train to Busan tient à une innovation dans la manière de présenter les morts-vivants en s’apitoyant sur leur sort, à savoir que les étranges créatures ensanglantées qui représentaient au départ une menace finissent par susciter la compassion en tant que victimes innocentes du désastre qu’a provoqué l’incompétence des dirigeants du pays. Cette vision nouvelle représente ainsi une particularité du cinéma coréen.
En outre, Train to Busan comporte de nombreux éléments qui font référence à certains événements de l’histoire coréenne contemporaine, à commencer par le lieu de l’action, ce train à grande vitesse qui traverse sans s’arrêter le pays de Séoul à Busan et prend valeur de métaphore de l’industrialisation à marche forcée qu’a connue le pays. Quant à ses passagers, ils apparaissent comme un microcosme de la société actuelle et ceux d’entre eux qui se décident à agir rappellent les nombreux opposants qui manifestèrent contre la dictature militaire et la répression.
Des cinéastes étrangers proposent eux aussi une nouvelle lecture du thème des morts-vivants, tel le réalisateur de Warm Bodies, sorti sur les écrans en 2013, qui campe le personnage de R., défenseur de la belle Julie contre les autres morts-vivants. En envisageant ainsi les rôles sous un angle différent, de tels films se démarquent de standards qui étaient restés les mêmes depuis La nuit des morts-vivants réalisé en 1968 par George A. Romero et ils traduisent un état d’esprit plus actuel fait de compréhension et de bienveillance.
Sorti en octobre dernier en Corée, Rampant constitue le premier spécimen de la version coréenne des films de morts-vivants, puisqu’il situe son action à une certaine époque de l’histoire du pays, mais il n’a pas remporté le succès commercial escompté. © Next Entertainment World
La perspective de l’histoire
Produit deux ans à peine après Train to Busan, le film d’action Rampant présente aussi un point de vue autre sur le thème des morts-vivants en faisant évoluer ceux-ci au temps du royaume de Joseon, vêtus du hanbok traditionnel et surgissant en toujours plus grand nombre. Le souverain s’avère incapable d’endiguer leur invasion, mais son fils cadet, grâce à sa maîtrise des arts martiaux, parvient non seulement à les repousser, mais aussi à venir à bout des conspirateurs qui s’employaient à renverser la monarchie.
L’aspect le plus marquant du film est la fracture qui se crée entre la classe dirigeante et la population au fur et à mesure que se répandent les morts-vivants. Par ce biais, son réalisateur véhicule un message sur la chute du régime, qui ne résulte pas du chaos créé par des envahisseurs assoiffés de sang, mais de la cupidité insatiable de l’élite au pouvoir, les morts-vivants se faisant ainsi métaphore des masses laborieuses affamées.
Cette vision d’un peuple qui souffre de la faim et qu’incarnent ces personnages transparaît également dans le film d’inspiration historique Kingdom dû à Kim Eun-hee et diffusé sur Netflix en janvier 2019. Les deux premiers épisodes de cette production consacrée à ce thème, aux dires de sa scénariste, ont été présentés en avant-première par le diffuseur lors d’une manifestation intitulée « See what’s next: Asia » qui se déroulait à Singapour. Lors de cette projection inédite, la presse a fait bon accueil à l’œuvre, Reed Hastings, le fondateur et PDG de Netflix, s’étant quant à lui dit très confiant à la perspective d’une deuxième livraison de Kingdom avant même d’avoir diffusé celle-ci.
Si Netflix a fait le pari d’investir dans la suite de ce film à succès et ses morts-vivants à la coréenne, c’est parce qu’elle s’accorde, par sa teneur, avec la culture de cette grande entreprise en abordant des thèmes universels et en les agrémentant d’une touche de particularités régionales, voire nationales. Ainsi, Kingdom a séduit le diffuseur en ligne en montrant des morts-vivants sous un angle propice à l’identification chez spectateurs d’un quelconque pays, tout en fournissant une nouvelle lecture de ce thème et en exprimant des sentiments qui révèlent une sensibilité spécifiquement coréenne à l’égard de personnages transformés en héros. Cette formule à succès pourrait inspirer bien des créateurs ou producteurs de contenus coréens qui peinent encore à trouver leur place à l’international.