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2020 AUTUMN

Un rempart du patrimoine en temps de guerre

Le Musée national de Corée accueillait dernièrement l’exposition temporaire Le musée et la guerre : commémoration du 70e anniversaire de la guerre de Corée pour rendre hommage à ceux dont l’action permit de préserver les trésors du patrimoine culturel national pendant la guerre de Corée, notamment le père de l’auteure qui, avant elle, fut directeur de cet établissement, ainsi que ses collaborateurs coréens et américains.

Si les guerres se soldent toujours par de lourdes pertes humaines, elles occasionnent aussi d’importants dommages au patrimoine culturel et artistique d’un pays par son pillage ou sa destruction délibérée visant à anéantir l’identité nationale dont il participe. Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne nazie fit ainsi systématiquement main basse sur les œuvres et objets d’art des vaincus, ainsi que sur leurs s et ouvrages historiques. Lors des procès de Nuremberg qui succédèrent à ce conflit, l’évaluation de ce butin de guerre à pas moins de 250 000 chefs-d’œuvre incita à classer de telles déprédations au nombre des crimes de guerre.

À peine quelques années plus tard, la fratricide guerre de Corée allait menacer de voir se répéter de telles exactions à l’encontre des trésors du patrimoine de l’un des belligérants, à savoir les riches collections du Musée national de la Corée du Sud, n’eussent été les efforts surhumains, et pourtant trop souvent méconnus jusqu’ici, qu’entreprit cet établissement pour faire transporter ses pièces jusqu’à Busan, alors capitale provisoire du pays.

Réunion du personnel du Musée national se déroulant dans l’un des bâtiments du Musée de Busan en 1952, époque à laquelle cette ville était la capitale provisoire du pays en guerre. Kim Jae-won, qui fut le premier directeur de cet établissement, est assis au centre (sixième à partir de la gauche). © Musée national de Corée

Des chefs-d’œuvre en péril

Cette vue de 1915 du palais de Gyeongbok comporte un bâtiment de style occidental que fit édifier le gouvernement colonial japonais, après en avoir supprimé nombre d’autres sur ce site, afin d’y installer le Musée du gouvernement général japonais de Corée, qui est l’actuel Musée national de Corée. À droite, se trouvent diverses constructions subsistant du palais d’origine, dont sa porte de l’Est, dite Geonchunmun, et à gauche, le bâtiment de la salle du trône appelé Geunjeongjeon. © Musée national de Corée

L’action de Kim Jae-won, qui fut le premier à assurer la direction du Musée, allait s’avérer décisive pour la préservation de ce patrimoine artistique d’une valeur inestimable. Après avoir effectué ses études à l’Université de Munich pendant la montée du nazisme, puis assisté dans ses recherches l’éminent archéologue, sinologue et professeur de l’Université de Gand Carl Hentze, Kim Jae-won revint en 1940 au pays, où il allait enseigner l’allemand à la Faculté de Bosung, l’actuelle Université de Koryeo.

Au lendemain de la Libération coréenne qui mit fin au joug colonial japonais en août 1945, le gouvernement militaire américain souhaita pourvoir le poste de directeur du Musée national de Corée connu auparavant sous le nom de Musée du gouvernement général japonais de Corée. Il porta son choix sur Kim Jae-won en raison de la spécialité d’archéologue que celui-ci avait acquise en Allemagne et, pas plus tard qu’en décembre 1945, l’heureux élu prenait la tête du Musée, où il allait demeurer jusqu’en 1970.

Quand survint l’invasion nord-coréenne à la date fatidique du 25 juin 1950 et que tomba Séoul, des réaménagements étaient encore en cours au Musée national de Corée, qui occupait une construction de style occidental appartenant au domaine du palais de Gyeongbok. Trois jours plus tard, le drapeau nord-coréen fut hissé au faîte de ce bâtiment et des cris se firent entendre pour exiger le départ du président Syngman Rhee. Se sachant menacé, car l’armée nord-coréenne pourchassait les personnages clés du pays, Kim Jae-won prit la fuite et trouva refuge chez une connaissance.

L’envahisseur projetant de s’emparer des collections du Musée national pour les emporter à Pyongyang, ainsi que celle de Chun Hyung-pil (1906-1962), le fondateur du Musée d’art Kansong, ordre fut donné au personnel d’emballer ses pièces les plus importantes afin de les entreposer à un autre endroit de la capitale. Les employés s’efforcèrent du mieux qu’ils purent de faire durer les opérations, prétextant tantôt un manque de papier d’emballage, tantôt celui de matériaux pour fabriquer les caisses. Fort heureusement, un tournant allait se produire dans le conflit avec l’irruption des forces alliées de l’ONU et, dès le 28 septembre, celles-ci entraient dans Séoul, toujours dotée de ses trésors artistiques, puisque les camions de l’armée en déroute étaient bien trop chargés de soldats pour emporter quoi que ce soit. De surcroît, les chefs-d’œuvre soigneusement empaquetés se trouvaient à l’abri au palais de Deoksu, celui de Gyeongbok ayant été gravement endommagé par les bombardements nord-coréens, y compris l’ancien emplacement des collections.

Une opération secrète

Kim Jae-won (à droite) et Eugene I. Knez, qui dirigea les services d’information américains de Busan pendant la guerre de Corée et, à titre privé, se chargea du transport des collections du musée à Busan pour les placer en lieu sûr. © Musée national de Corée

Après avoir repris Séoul, l’armée sud-coréenne et les forces de l’ONU poursuivirent leur progression vers le nord, mais se heurtèrent ce faisant à celle de la Chine, qui venait à son tour d’entrer en guerre. À la vue des chars américains qui se repliaient par dizaines, Kim Jae-won prit conscience de la gravité de la situation et persuada Paek Nak-chun, le ministre de la Culture et de l’Éducation, de l’urgence qu’il y avait à évacuer la collection du Musée national vers la ville la plus méridionale du pays, Busan, jusque-là épargnée par la guerre, car ces trésors seraient à jamais perdus s’ils tombaient de nouveau aux mains des Nord-Coréens. Conquis par ses arguments, Paek Nak-chun lui signifia son accord par une lettre rédigée en anglais afin d’assurer sa confidentialité, mais la mise en œuvre du plan ne se déroula pas sans mal.

En ces temps où un nombre insuffisant de véhicules se faisait cruellement sentir jusque dans le transport de troupes et de réfugiés, la mise à disposition de centaines de caisses semblait relever de la gageure. Dans ces circonstances critiques, l’anthropologue Eugene I. Knez (1916-2010), qui dirigeait alors les services d’information américains de Busan, apporta son précieux concours en acceptant de déroger aux formalités habituelles de demande d’autorisation à l’ambassadeur des États-Unis, qui était alors John J. Muccio. Les trains qui apportaient les munitions repartant le plus souvent à vide à Busan, Eugene I. Knez parvint à convaincre un officier américain responsable de cette liaison de faire sécuriser l’un d’eux, tandis que le Service des transports de l’armée américaine se chargeait de fournir les camions pour convoyer les caisses jusqu’à la gare de Séoul.

Le 6 décembre 1950, Kim Jae-won informa le ministre Paek Nak-chun de son départ pour Busan à bord du train de marchandises, en compagnie de quinze autres personnes parmi lesquelles se trouvaient d’autres dirigeants de musées et leur famille. L’opération exigeant certaines précautions afin d’observer le plus grand secret et le train restant parfois des heures en gare, le voyage nécessita quatre jours, alors qu’il ne dure que deux heures et demie aujourd’hui. Le 4 janvier 1951, soit un mois plus tard, l’armée nord-coréenne s’emparait de nouveau de Séoul.

Conscient de la valeur du patrimoine culturel national, le Président Syngman Rhee souhaita mettre au point un plan en vue de son éventuelle évacuation urgente vers un pays étranger et il fit alors appel aux États-Unis. De crainte de faire l’objet, par la suite, d’une propagande malveillante visant à l’accuser d’avoir dérobé les œuvres d’art, le département d’État lui conseilla d’opter plutôt pour le Japon, ce à quoi se refusa catégoriquement Syngman Rhee. Par bonheur, c’est à ce moment crucial, en mars 1951, qu’allait intervenir la reprise de Séoul par l’armée sud-coréenne et les forces alliées de l’ONU, lesquelles allaient aussi chasser définitivement les Nord-coréens et Chinois de Busan.

Si des pourparlers sur la délocalisation des biens culturels n’avaient plus lieu d’être, les États-Unis ne se désintéressèrent pas pour autant de leur sort. Pas plus tard qu’en juillet 1950, soit quelques semaines à peine après le début de la guerre, le président Syngman Rhee avait ordonné au colonel Kim Il-hwan, l’un des responsables du ministère de la Défense, de transférer à la Bank of America de San Francisco, afin d’y être placés dans un coffre-fort, 139 objets culturels importants, dont les couronnes en or de Silla jusque-là conservées par le Musée national dans sa succursale de Gyeongju, ainsi que des lingots d’or entreposés à la Banque de Corée. Par la suite, ces objets allaient être présentés au public américain dans le cadre de l’exposition itinérante Chefs-d’œuvre de l’art coréen qui se déroula dans huit villes différentes en 1957 et 1958, avant leur rapatriement en toute sécurité un an plus tard.

Les peintures murales figurèrent au nombre des 18 883 pièces que le Musée national fit placer dans 430 caisses et mettre en sûreté grâce au dévouement de ceux qui oeuvrèrent pour les prémunir des ravages de la guerre.

Chefs-d’œuvre de l’art coréen a êté la première manifestation à présenter le patrimoine artistique coréen à l’étranger. Dans les huit villes américaines où elle eut lieu en 1957 et 1958, cette exposition itinérante permit de constater que la Corée se relevait d’ores et déjà de ses ruines. Sur cette page de son catalogue, se trouve la couronne d’or qui fut découverte dans la tombe de Seobongchong située à Gyeongju et qui constitue le trésor n ° 339. © Musée national de Corée

Une volonté sans faille

Peinture murale de la scène de Pranidhi, terre, 145 cm × 57 cm. Musée national de Corée. Cette peinture murale figure parmi celles qui représentent la scène dite « de Pranidhi », c’est-à-dire « de la promesse » en sanskrit. Elle provient de la grotte n°15 de Bezeklik, le plus important des temples rupestres édifiés à Turpan entre les VIe et XIIe siècles. Sakyamuni y est représenté, dans une vie antérieure, avec des fleurs bleues dans les mains. © Musée national de Corée

Lors de leur transfert à Busan, certaines pièces des collections du Musée national causèrent particulièrement d’inquiétude à son directeur. Il s’agissait d’une soixantaine de peintures murales d’Asie centrale dont un ressortissant japonais avait fait don au Musée du gouvernement général japonais de Corée sous l’occupation. Réalisées sur des murs de terre, elles s’avéraient inadaptées au transport de par leur poids et leur épaisseur.

À Berlin, l’un des musées d’art populaire qui en possédait de semblables avait été confronté à un problème analogue. Quand éclata la Seconde Guerre mondiale, faute de pouvoir les placer dans un endroit sûr aux côtés d’autres objets, un responsable préféra faire détruire 30 % d’entre elles et aurait par la suite mis fin à ses jours.

En avril et mai 1951, Kim Jae-won, accompagné de quelques employés du Musée national, revint à Séoul et, bravant les tirs nourris de l’offensive chinoise printanière, ils se frayèrent un chemin jusqu’à cet établissement, enveloppèrent avec soin les peintures murales et les emportèrent sans encombre à Busan. À la demande d’Eugene I. Knez, le colonel Charles R. Munske participa aux opérations d’emballage et de transport des œuvres jusqu’à la gare de Séoul. Les peintures murales figurèrent au nombre des 18 883 pièces que le Musée national fit placer dans 430 caisses et mettre en sûreté grâce au dévouement de tous ceux qui œuvrèrent pour les prémunir des ravages de la guerre.

Dans les temps pourtant mouvementés de l’après-guerre, le Musée national s’acquitta sans relâche de ses activités d’exposition et de recherche archéologique. À leur retour à Séoul, ses collections prirent place au palais de Deoksu, plus exactement dans le Pavillon de pierre dit Seokjojeon en raison du matériau de cette première construction coréenne de style européen, et, en 1955, le Musée national ouvrit ses portes au public.

Benjamine des enfants de Kim Jae-won, je suis née à Busan où ma famille s’était réfugiée pendant la guerre. Si je conserve peu de souvenirs de ma vie dans cette capitale provisoire, la vue des salles du Musée national dont j’ai assuré la direction m’a fait prendre toute la mesure, en particulier lors des cinq premières années de mon mandat, à savoir de 2011 à 2016, de la tâche colossale qu’a dû représenter la sécurisation d’éléments du patrimoine culturel en des temps où le danger était omniprésent. L’expérience des contacts internationaux, la réactivité et le sens aigu du devoir d’un responsable qui maîtrisait en outre plusieurs langues étrangères n’en ont pas moins permis son accomplissement. Par sa bravoure et sa détermination à protéger la collection du musée au péril de sa vie, l’ensemble du personnel a joué un rôle tout aussi essentiel dans cette entreprise, ainsi que ceux qui, indépendamment de leur nationalité, ont volontiers apporté leur aide pour sauvegarder un patrimoine culturel qui leur inspirait un profond respect. 

Salle d’exposition du Musée national, qui rouvrit ses portes au public en 1955 dans le pavillon de Seokjojeon situé au palais de Deoksu, après qu’il eut été déplacé au lendemain de la guerre de Corée. © Musée national de Corée

Kim YoungnaProfesseure émérite à l’Université nationale de Séoul et ancienne directrice du Musée national de Corée

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