Au tournant du siècle dernier, les premiers hôtels modernes qui se multiplièrent à proximité du port franc d’Incheon allaient faire des émules dans un quartier de la capitale nommé Jeong-dong et, si ces établissements représentaient alors des lieux d’introduction et de diffusion de la culture occidentale, ils furent plus tard le théâtre de nombreux événements tragiques de l’histoire coréenne.
Lieux de modernité, les hôtels à l’occidentale ont fait leur apparition non loin du port maritime d’Incheon à l’époque où celui-ci commençait à accueillir des navires étrangers dont les passagers, qu’ils soient diplomates, missionnaires, entrepreneurs ou simples voyageurs, pouvaient ainsi y passer la nuit avant de poursuivre leur périple jusqu’à Séoul.
Le premier de ces établissements de style occidental fut l’Hôtel Daebu, que tenait un ressortissant japonais répondant au nom de Kyutaro Hori. C’était dans cette construction de deux étages jouxtant la banque japonaise Dai-Ichi que descendaient tous les voyageurs de passage pour y effectuer une halte à leur arrivée. Le missionnaire américain Henry G. Appenzeller, fondateur du Pai Chai Hakdang, l’actuel lycée Pai Chai, allait aussi y séjourner lorsqu’il foula le sol du royaume de Joseon en 1885.
À l’hôtel Steward, un établissement voisin dont le propriétaire nommé Yi Tae avait été intendant à la légation américaine, allait séjourner en 1894 l’exploratrice britannique Isabella Bird Bishop pendant son voyage au royaume de Joseon.
Cinq ans plus tard, la mise en service de la ligne de chemin de fer Gyeongin entre Incheon et Séoul allait entraîner un déclin inexorable des établissements hôteliers du port en permettant désormais aux voyageurs de gagner directement Séoul en train sans faire halte à Incheon. En 1901, année de l’achèvement de cette liaison, le ressortissant britannique W. H. Emberley ouvrit le Station Hotel en face de la gare de Seodaemun, qui en était le terminus et se trouvait à proximité du départ du tramway construit en mai 1899 pour desservir la ville.
Des vitrines du progrès
Cette salle d’exposition a été aménagée à l’emplacement de l’hôtel Daebul, qui fut le premier établissement coréen à l’occidentale de ce type. Après avoir bénéficié de l’ouverture au commerce extérieur du port d’Incheon où il se situe, il amorça un déclin qui le voua à la démolition à la fin des années 1970. Placés sous la responsabilité de la Fondation culturelle d’Incheon Jung-gu, ces locaux ouverts au public en 2018 rappellent ses heures de gloire.
© Fondation culturelle Incheon Jung-gu
Ces établissements d’un nouveau genre allaient peu à peu essaimer à Séoul, plus précisément dans le quartier de Jeong-dong qui abritait le palais de Gyeongun aujourd’hui connu sous le nom de palais de Deoksu. À la faveur de la politique d’ouverture entreprise par le royaume de Joseon dans les années 1880, cette partie de la capitale allait devenir très cosmopolite au fur et à mesure qu’y élisaient domicile les diplomates, missionnaires chrétiens, conseillers étrangers et entrepreneurs de différentes origines.
C’est en 1882, suite à la signature du traité de commerce américano-coréen, qu’étaient arrivés dans cette région les premiers ressortissants occidentaux et, un an plus tard, Lucius Harwood Foote y fondait la légation américaine. Par la suite, toujours plus d’États, soucieux de démontrer leur puissance, allaient y établir des légations en grand nombre dans des constructions de style occidental qui se multiplièrent en particulier dans une certaine rue. Bientôt, nombre d’établissements d’enseignement, d’hôpitaux et de magasins virent aussi le jour et firent de ce quartier de Jeong-dong une vitrine de la modernité à l’occidentale.
Dès 1897, les lieux gagnèrent encore en importance quand l’empereur Gojong entreprit de réaménager le palais de Gyeongun après qu’il eut proclamé l’Empire coréen (1897-1910), un État moderne doté de la souveraineté nationale. Dans le cadre de la politique de modernisation voulue par le monarque, celui-ci fit venir quelque deux cents ressortissants occidentaux pour exercer la fonction de conseillers au sein de chacun de ses ministères, mais aussi des agents des douanes maritimes ainsi que des spécialistes de différents domaines dont l’électricité, les tramways, les communications télégraphiques, les mines et les chemins de fer.
Ces nouveaux arrivants habitaient pour la plupart le quartier de Jeong-dong et, aux côtés des diplomates et missionnaires, ils composaient une communauté étrangère par le biais de laquelle l’Empire coréen, grâce aux liens qu’entretenait le monarque avec elle, allait bientôt s’ouvrir à la civilisation occidentale. Avec leur concours, ce dernier fit ainsi réaliser les installations électriques et téléphoniques du palais et, comme il était amateur de café et de champagne, il allait d’autant plus volontiers adopter ces influences étrangères, notamment lors des banquets à la française qu’il donnait à l’intention des diplomates étrangers en faisant appel à une certaine Antoinette Sontag (1838-1922).
L’hôtel Sontag
Lorsqu’il reprit l’hôtel Sontag, en 1909, le Français J. Boher fit éditer une carte postale en couleur représentant cet établissement.© Musée folklorique national de Corée
En 1885, cette Allemande native de France avait suivi en Corée sa sœur et son beau-frère Karl Ivanovitch Weber (1841-1910) lorsque ce dernier y avait été nommé consul général de Russie. Elle allait y rester près de vingt-cinq ans avant de repartir pour l’Europe en 1909.
Pour préserver son intégrité territoriale des visées chinoises et japonaises, la Corée espérait alors pouvoir se reposer sur le soutien des États-Unis et de la Russie, d’où la confiance qu’elle accorda à cette ressortissante étrangère en lui permettant d’introduire cuisine et divertissements occidentaux au palais, ce qui fit d’elle une figure très en vue de la haute société. C’est à son domicile que tenait ses réunions le Club de Chongdong.
Vers 1902, l’hôtel Sontag fut reconstruit à l’ouest du palais pour en faire la résidence particulière de la famille impériale et y accueillir les invités d’État, mais, outre son rôle de lieu d’hébergement, il allait doter le cœur de la capitale d’un cadre moderne propice aux rencontres entre voyageurs et diplomates étrangers, notamment occidentaux, qui venaient y bavarder autour d’un café.
Au lendemain de la guerre russo-japonaise, cet établissement fut malgré lui spectateur d’épisodes pénibles de l’histoire coréenne, notamment en novembre 1905, où Ito Hirobumi y séjourna alors qu’il se préparait à spolier la Corée de sa souveraineté. Emma Kroebel, qui assurait alors le remplacement d’Antoinette Sontag partie en congé pendant une année, reçut en ces lieux le Premier ministre japonais et relata les événements historiques auxquels elle assista entre l’été 1905 et l’automne 1906. Peu avant son arrivée, elle avait également veillé personnellement à l’accueil d’Alice Roosevelt, la fille du président américain Theodore Roosevelt, que l’empereur Gojong avait invitée à effectuer une visite à Séoul. Dans la perspective du soutien escompté de son pays, le souverain fit particulièrement preuve d’hospitalité envers elle, mais, déjà, venait d’être conclu à Tokyo l’accord Taft-Katsura par lequel les États-Unis s’engageaient à apporter leur soutien au Japon.
Alors qu’il avait œuvré à l’établissement des relations diplomatiques et adopté des éléments, notamment culinaires, de la culture de la haute société occidentale dans l’espoir de procurer au pays la protection des grandes puissances, celle-ci lui fit ainsi défaut à un moment décisif de son histoire et l’hôtel Sontag amorça dès lors son déclin, après avoir constitué l’un des hauts lieux de la vie sociale des Occidentaux de Jeong-dong.
L’hôtel des Chemins de fer
C’est en 1914, suite à l’annexion de la Corée, que vit le jour à Gyeongseong, l’actuelle Séoul, cet établissement créé et dirigé par l’Office des chemins de fer du gouvernement général japonais dont l’appellation officielle était « hôtel Chosun » et dont les plans avaient été réalisés par l’architecte allemand Georg de Lalande. C’est dans la perspective d’une future invasion de la Chine continentale que le colonisateur avait choisi d’édifier cet établissement à Gyeongseong, qui se trouvait à mi-chemin de la liaison ferroviaire reliant directement la péninsule coréenne à la Mandchourie, ses créateurs escomptant une forte augmentation des besoins d’hébergement avec l’arrivée de nombreux voyageurs japonais souhaitant y faire halte.
Cet établissement se situait à l’emplacement même de l’autel dit Hwangudan, c’est-à-dire « au Ciel », qu’avait fait élever Gojong lors de son accession au trône, en 1897, pour manifester au monde occidental sa volonté de faire du pays une nation moderne et souveraine. Dès la conquête de l’empire, le Japon s’empressa de détruire le Hwangudan pour que cède la place à son hôtel des Chemins de fer ce symbole d’aspiration coréenne à se moderniser en toute indépendance.
À l’aube de l’histoire moderne coréenne, les premiers hôtels constituèrent ainsi des vecteurs d’introduction et de diffusion de la culture occidentale suite à l’ouverture des ports sur le monde extérieur, mais aussi les témoins d’événements qui privèrent le pays de sa souveraineté nationale.