Le mont Inwang, cet emblème au décor grandiose du quartier de Seochon, a souvent été représenté dans la peinture paysagère d’époque Joseon, car, sous ce royaume, les lettrés aimaient à s’y réunir pour s’adonner à cet art, ainsi qu’à d’autres tels que la poésie. Aujourd’hui, les amoureux de la nature apprécient d’y trouver un havre de paix au cœur de la capitale le temps d’une randonnée pittoresque ou d’une simple promenade sur ses sentiers bien entretenus.
Du haut du mont Inwang, le promeneur bénéficie d’un panorama exceptionnel du centre de Séoul et de ses environs. À la fin du XIVe siècle, Yi Seong-gye, qui fonda le royaume de Joseon, fit réaliser un ouvrage défensif autour de la capitale alors appelée Hanyang. Ces fortifications s’étirent sur une distance de 18,6 kilomètres entre les crêtes des quatre monts d’importance stratégique que sont Bugaksan, Naksan, Namsan et Inwangsan.
© Office national du tourisme de Corée
Les lieux familiers qui composaient le paysage de Seochon ont disparu avec le temps : ici, un grenier à grain a cédé la place à une galerie marchande, tandis que, plus loin, un nouveau restaurant a succédé à une quincaillerie, les maisons voisines se couvrant à leur tour de bâches anti-poussière dans l’attente des travaux qui en feront des commerces modernes. Ses rues, que j’ai si bien connues, ne me paraissent plus les mêmes quand je les parcours aujourd’hui, mais, de retour à la maison, le soir, je me sens rassurée à la vue des silhouettes immuables des monts Inwang et Bugak qui se profilent à l’horizon de la place Gwanghwamun. Par leur présence majestueuse, ces reliefs m’évoquent une certaine continuité qui résiste au passage du temps. En se tenant au carrefour situé près de la station de métro qui dessert le palais de Gyeongbok, le promeneur apercevra au loin leurs deux sommets qui s’élèvent au nord, telles les ailes d’un oiseau prenant son envol, et se dira qu’ils y demeureront à jamais, quelle que soit la manière dont évoluera ce quartier.
Bravant ces transformations, derrière les grandes artères rectilignes qui le quadrillent, Seochon conserve son labyrinthe de ruelles sinueuses bordées de hanok, ces maisons d’autrefois aux toitures de tuile qui rappellent les caractères tantôt ouverts ㄱ, ㄴ, ㄷ, ㄹ, tantôt fermés ㅁ, ㅂ des consonnes coréennes. Quand il m’arrive d’y flâner, je m’émerveille toujours en remarquant certains aspects esthétiques tels que l’élégante typographie de la signalétique, le raffinement des poignées de porte ou les arabesques des grilles de fenêtre en fer forgé : autant de beautés qui m’entraînent dans ce dédale jusqu’à m’y perdre, tout en sachant que je retrouverai mon chemin en m’orientant grâce à l’imposante masse du mont Inwang qui s’élève à l’horizon.
Après que le royaume de Joseon eut pris pour capitale Hanyang, l’actuelle Séoul, à son avènement, le quartier de Seochon joua un rôle historique important dans l’histoire de la ville. Il recèle aujourd’hui encore un précieux patrimoine culturel, puisqu’il compte pas moins de quatre bibliothèques publiques et vingt petites librairies, dont celle que dirige Han Kang, la lauréate du dernier prix Nobel de littérature. En arpentant ses ruelles chargées de mémoire, je me prends à imaginer l’autre nom que pourrait prendre Seochon. Et si, plutôt que « village de l’ouest », il s’appelait « village du livre » ?
Un sommet majestueux
Situé à l’ouest du palais de Gyeongbok, le mont Inwang dresse sa silhouette dans le ciel de Seochon et de ses environs, à une altitude de 338,2 mètres qui permet d’en effectuer l’ascension en une heure à partir d’un point quelconque. Son imposante masse de granit est creusée de vallées profondes où vivaient autrefois des tigres et qui offrent aujourd’hui un havre de paix dans un cadre naturel tout en se trouvant au voisinage d’une ville.
Sous le royaume de Joseon, la route d’Uijuro, ainsi nommée parce qu’elle parcourait le canton d’Uiju situé sur les berges du Yalu, permettait de gagner le continent chinois par le centre-nord de la péninsule en franchissant la ville de Hanyang, puis le canton d’Uiju situé dans l’actuelle province nord-coréenne du Pyongan du Nord. Les émissaires chinois l’empruntaient en sens inverse pour se rendre dans la capitale en passant par Pyongyang et Kaesong. Avant de parvenir à destination, ils effectuaient une halte à l’auberge de Hongjewon, qui se trouvait à la sortie ouest des murailles de la ville, pour s’accorder une nuit de repos et faire leurs derniers préparatifs. Reprenant leur périple, ils arrivaient alors au col de Muakjae, ce passage réputé difficile entre les monts An et Inwang dont le franchissement s’avérait si périlleux lors de grosses chutes de neige qu’il fut souvent fermé à la circulation jusque dans les années 1970.
Album de huit sites pittoresques de Jang-dong, Jeong Seon, années 1750, couleur sur papier, 33,4 × 29,7 cm.
Le peintre Jeong Seon, qui vécut à Seochon sous le royaume de Joseon, a immortalisé huit des paysages les plus emblématiques de son quartier, en s’attachant plus particulièrement à en représenter la partie qui s’étend au pied du mont Inwang. Réalisée à près de 70 ans, cette œuvre révèle le haut degré de maîtrise qu’il avait atteint et la sensibilité unique qui s’exprime dans chacun de ses coups de pinceau.
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Un émissaire de la dynastie Ming nommé Dong Yue (1431-1502) consigna ses premières impressions de Hanyang dans un récit de voyage intitulé Chaoxianfu : « Bras croisés, nous contemplons Hanyang, qui s’étend sur l’autre rive de l’Imjin. Des montagnes encerclent les murs de la ville, tel un phénix en plein vol, et resplendissent sous la lumière ». Les lieux n’ont guère changé depuis. Les randonneurs qui entreprennent l’ascension du mont Inwang s’imprègnent aussi du paysage environnant tandis qu’ils parcourent les sentiers menant à sa cime. Lorsqu’ils y parviennent, beaucoup tiennent à se prendre en photo sur son célèbre rocher où, par temps clair, les crêtes avoisinantes leur donnent l’impression de s’envelopper de majestueux reliefs.
La contemplation des fleurs
Quand venait le printemps, les gens de Hanyang étaient nombreux à se rendre au pied du mont Inwang, d’où ils pouvaient admirer les fleurs écloses sur deux pittoresques plateaux. Il est fait mention de ces lieux dans le traité Yeolyang sesigi qui décrit les coutumes saisonnières de l’époque Joseon, le plateau de Pirundae étant prisé pour les abricotiers et celui de Sesimdae, pour les pêchers.
Quoique peu enclin à la poésie, un lettré du nom de Pak Jiwon (1737-1805) appartenant à l’école pragmatique composa deux poèmes évoquant Pirundae au sein de son recueil intitulé Yeonamjip. Ses paysages ont aussi inspiré les descriptions brillantes qu’en livrait un fonctionnaire du XVIIIe siècle nommé Yun Gi dans son recueil de poèmes Mumyeongjajip : « Pirundae dresse ses larges rochers plats. Soleil éclatant et chaleur printanière se répandent sur la ville ». Quant à Sesimdae, lieu de prédilection de la famille royale, le roi y pratiquait le tir à l’arc et y lisait de la poésie en compagnie de ses ministres.
Aujourd’hui, Pirundae est la propriété du lycée de jeunes filles de Baehwa, et Sesimdae, celle de l’École nationale des sourds de Séoul, l’accès à ces lieux chargés d’histoire étant donc interdit au public.
La vallée de Suseong-dong
La vallée de Suseong-dong, qui s’étend au pied du versant oriental du mont Inwang, offre à la vue des paysages enchanteurs où l’aristocratie de Joseon fit bâtir maisons et pavillons, tandis que les lettrés venaient s’y adonner au pungnyu, une pratique par laquelle ils exaltaient en une même célébration la nature, la poésie et le chant, ainsi que d’autres arts. En 1971, la construction d’un grand ensemble résidentiel appelé Ogin allait altérer l’harmonie de ce cadre superbe plus de quarante années durant, jusqu’à sa démolition complète grâce à laquelle la vallée a retrouvé son charme d’antan. Désormais, des sentiers de randonnée bien entretenus y offrent l’occasion d’une escapade idéale loin du rythme trépidant de Séoul.
Le célèbre érudit et calligraphe de Joseon Kim Jeong-hui (1786-1856) chanta les beautés de cette vallée dans l’ouvrage Wandang seonsaeng jeonjip qui rassemble ses œuvres complètes, dont un poème qui commence par ces vers : « En entrant dans la vallée, à quelques pas / Le tonnerre gronde sous mes pieds », et d’ajouter, plus loin, ces mots évoquant l’atmosphère d’un lieu, où, « même en plein jour, on a l’impression qu’il fait nuit ».
L’année dernière, une chaleur accablante régnait encore à Séoul bien après le jour du calendrier coréen, dit de Cheoseo, où les températures estivales cèdent d’ordinaire la place à la fraîcheur de l’automne. Après plusieurs jours de fortes pluies, j’ai pris mon parapluie et suis allée marcher dans la vallée, où régnait encore l’obscurité et résonnait le bruit ininterrompu de la pluie. Au pont de pierre de Girin, comme me parvenait le son cristallin de l’eau, je me suis arrêtée pour méditer les mots de Kim Jeong-hui et m’imprégner de leur poésie. Le ruisseau qui dévalait de la montagne venait éclabousser les rochers avec une énergie vivifiante et un joyeux clapotis donnait une impression de fraîcheur.
Retraite très prisée par les érudits du royaume de Joseon, la vallée de Suseong-dong comporte le lieu historique important qu’est le pont de Girin. Composé de deux énormes dalles de 3,8 mètres chacune, cet ouvrage d’art en pierre présente la particularité d’être le seul en son genre à se situer dans le cœur historique de Séoul et à être parvenu intact jusqu’à nos jours.
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Vue sur Séoul
Construite en 1968 dans le but de renforcer la sécurité autour de la résidence présidentielle suite à un raid mené par des agents nord-coréens infiltrés sur le territoire, la route à deux voies de Bugak serpente en montagne, à partir du site de l’autel de Sajik, avant de longer une crête montagneuse sur environ dix kilomètres, entre les monts Inwang et Bugak. C’est en 1984 que la chaussée y fut divisée en deux à partir de la porte nord-ouest, dite Changuimun, des anciennes fortifications édifiées autour de Séoul sous le royaume de Joseon, les deux routes ainsi obtenues prenant le nom d’Inwang Skyway et de Bugak Skyway. Cette dernière est particulièrement célèbre pour un pavillon d’aspect romantique perché au sommet du mont.
En parcourant l’une ou l’autre des routes en direction de Changuimun, le visiteur parviendra à l’observatoire de Mumudae, qui se situe au mont Inwang. Par temps clair, il permet d’embrasser du regard l’ancienne résidence présidentielle de Cheong Wa Dae et le palais de Gyeongbok, ainsi que d’autres monuments emblématiques de Séoul, comme la N Tower du mont Nam et la tour Lotte World du quartier de Gangnam. Venant d’en bas, on entend faiblement les aboienents, d’en bas, les aboiements des chiens de Seochon, les bruits de moteur des bus qui sillonnent le quartier et la rumeur des cyclistes qui pédalent en direction de la vallée de Suseong-dong.
Longtemps interdit d’accès au public en raison de la présence d’une trentaine de postes de garde de l’armée, le mont Inwang lui est désormais ouvert. Si la plupart de ces emplacements ont disparu, certains ont été transformés en aires de repos où chacun peut se détendre, tel le Shelter in the Woods, cet ancien poste de garde réaménagé en espace culturel.
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En partant de Mumudae, quinze minutes suffisent pour gagner les anciens remparts de la ville en empruntant les escaliers en bois qui commencent devant la librairie Chosochaekbang. Une fois en haut, on verra s’étirer les murailles qui parcourent le mont Inwang, telle une colonne vertébrale que composent des soubassements surmontés de pierres de taille. Puis, au fur et à mesure de sa progression, en observant les montagnes qui s’élèvent de part et d’autre des remparts, on ressentira l’impression saisissante de chevaucher un tigre dressé sur ses pattes arrière.
Alors que je poursuis ma montée, il pleut sans interruption et le paysage disparaît sous un brouillard épais qui donne une impression irréelle et d’où émergent brièvement les montagnes dès qu’il pleut moins ou que le vent souffle dans un autre sens. Le fondateur du royaume de Joseon que fut le roi Taejo, encore indécis quant à l’emplacement précis de sa nouvelle capitale, éprouva-t-il les mêmes sentiments en découvrant la ville qui s’étendait à ses pieds tandis qu’il gravissait cette même montagne ?