Créatrice et chef d’entreprise, Kim Woo-Jung propose un style d’habillement simple, confortable et composé de tissus naturels dans son atelier-boutique de Seochon où, voilà cinq ans, elle a choisi de s’établir après avoir exploré de nombreux autres quartiers de la capitale. Ses modèles, que les clients peuvent aussi louer, ce qu’ils font souvent, sont empreints du cachet de ce quartier pittoresque.
Après avoir résidé dans plusieurs quartiers de Séoul, la créatrice de mode Kim Woo-Jung a porté son choix sur Seochon pour y ouvrir son studio il y a cinq ans et son attachement au quartier est allé croissant. Depuis l’année dernière, elle habite une maison d’où elle a une vue imprenable sur le mont Inwang et ressent d’autant plus l’impression de s’imprégner de l’atmosphère particulière qui règne dans ce quartier.
Le verbe coréen jitda peut aussi bien désigner la cuisson du riz que la confection de vêtements ou la construction d’une maison, car il se réfère à des besoins essentiels auxquels répondent ces activités. « Que ce repas vous apporte la santé, que ces vêtements vous procurent du confort et que cette maison vous remplisse de joie » : ces souhaits sincères traduisent bien l’esprit dans lequel Kim Woo-Jung crée les vêtements de sa marque Gajungsic Fabric depuis près de dix ans.
Ce nom est dérivé du mot gajeongsik désignant la cuisine familiale et se trouve souvent sur les enseignes des restaurants. Inspirée par l’affectivité qui s’attache à la cuisine familiale, Kim Woo-Jung cherche à en transmettre le côté doux et chaleureux dans ses créations.
« Les préparations faites à la maison sont bonnes pour la santé. Alors, comme quand on cuisine avec de bons ingrédients qui contiennent peu d’additifs, je me sers de matières naturelles et durables pour créer des vêtements intemporels, qui ne se démoderont jamais », explique-t-elle.
« Après des années d’études et d’expérience professionnelle dans la mode pendant lesquelles j’ai pu travailler avec tout, du synthétique à d’autres étoffes très différentes, j’en suis venue à la conclusion que rien ne vaut une matière naturelle ».
Des matières d’une grande qualité
Chez Kim Woo-Jung, le goût de créer des vêtements remonte à l’enfance, époque à laquelle elle habitait Masan, ce port du littoral sud-est. Après avoir étudié le stylisme dans une université de Séoul, elle allait exercer dix années durant dans une entreprise du secteur de l’habillement pour femme et enfant. La manière de travailler se devait alors de suivre les dernières tendances et d’obéir à l’impératif de la productivité afin de proposer des vêtements aussi faciles à commercialiser que rapidement délaissés. Ce rythme effréné entraînait un épuisement physique et moral auquel la jeune femme échappait, par la créativité, en confectionnant elle-même ses vêtements. Puis est arrivé ce voyage de trois mois pendant lequel elle souhaitait se ressourcer et se donner le temps de réfléchir, ce qui allait lui faire prendre conscience de l’écart qui existait entre sa vie et ses aspirations. Elle décidera alors de remettre sa démission pour se consacrer à ce qui lui plaît vraiment.
Pour Kim Woo-Jung, les satisfactions qu’apporte le métier de chef d’entreprise tiennent moins aux profits réalisés qu’à la possibilité d’exprimer une passion, comme elle le fait elle-même en créant chacun de ses modèles comme autant d’œuvres d’art. Loin de l’univers impitoyable de la fast-fashion, elle peut désormais savourer la liberté de travailler à son rythme.
« Dans un monde où on produit tout à une vitesse folle, j’ai opté pour la voie de la lenteur et de la réflexion dans le domaine de l’habillement », explique-t-elle. « Dans mon ancienne entreprise, tout tournait autour du chiffre d’affaires, de la gestion des stocks et de la baisse des coûts synonyme de bénéfices en hausse. Pour ma part, j’ai préféré prendre le temps qu’il fallait pour créer des vêtements susceptibles de satisfaire réellement les gens qui les porteraient, quitte à avoir moins de clients. Je crois qu’un habillement bien conçu peut influencer dans le bon sens l’humeur et l’impression de bien-être de ceux qui l’adoptent ».
Le showroom de Gajungsic Fabric situé à Jeong-dong, dans le centre de Séoul. Kim Woo-Jung estime que les vêtements doivent réchauffer l’âme tout autant que le corps et espère que les modèles qu’elle a conçus avec un soin méticuleux procureront un confort durable à ceux qui les porteront.
Kim Woo-Jung se refuse à tout compromis sur la qualité au nom de la rentabilité, car, à ses yeux, les matières sont aussi importantes pour les vêtements que les ingrédients dans la cuisine. Parmi ses préférées, se trouvent le lin et le coton, le premier convenant aux vêtements de printemps et d’été, comme aux robes qu’elle porte elle-même plus de six mois sur douze. « Ce que j’aime, dans le lin, c’est qu’il épouse petit à petit la silhouette, ce qui donne une apparence de naturel et de décontraction », confie-t-elle.
Quoique ne disposant pas de revenus considérables, la créatrice parcourt le monde à la recherche de matières idéales pour ses modèles, s’approvisionnant en laine au Royaume-Uni, ce pays à la production textile ancienne, en lin en Belgique et en étoffes de qualité supérieure en Lituanie. S’agissant du cachemire, elle traite directement avec les éleveurs de chèvres de Mongolie qui lui assurent un excellent rapport qualité-prix. Elle se rend également souvent en Italie pour y trouver des textiles travaillés avec soin, ainsi qu’au Japon, dont les étoffes tissées sur des métiers mécaniques à l’ancienne possèdent un charme artisanal, et en Inde, où elle se procure coton biologique et khadi tout aussi beaux que durables.
La difficulté de réunir tant d’excellentes matières limite naturellement la quantité d’articles disponibles en permanence. « L’approvisionnement en tissus de qualité comme la capacité à créer des modèles simples et intemporels sont indispensables à la confection de vêtements pouvant durer longtemps », affirme-t-elle. Fidèle à ses convictions, elle entend se limiter à produire en quantité suffisante pour écouler son stock et s’épargner le moindre gaspillage. En s’en tenant à cette démarche raisonnée, elle n’en vit pas moins un réel épanouissement.
Sur les étagères du showroom, sont disposées des œuvres artisanales choisies qui, en grande partie, ont été réalisées par des artisans du quartier de Seochon. Kim Woo-Jung apprécie particulièrement de pouvoir collaborer avec ces créateurs qui recherchent les différentes possibilités offertes par des matériaux comme le verre, la céramique, le métal ou le cuir et elle organise régulièrement des expositions consacrées à leurs créations.
La vie à Seochon
Kim Woo-Jung vend principalement ses créations à une clientèle d’habitués intelligents et discrets, y compris de jeunes filles dont les mamans se servent fidèlement chez elle et qui portent même leurs tenues. « Je me réjouis de voir que des gens de générations différentes apprécient nos vêtements, ce qui prouve qu’ils traversent les époques sans se démoder », confie-t-elle.
Si beaucoup effectuent aujourd’hui des achats en ligne par le biais du blog qu’elle a créé voilà déjà longtemps ou sur le site internet de sa marque, ils sont toujours plus nombreux à vouloir voir et toucher eux-mêmes les articles avant de les acheter. C’est pour répondre à ce besoin que Kim Woo-Jung a ouvert un showroom dans le quartier de Jeong-dong situé dans le centre de Séoul. Cet espace agréable occupe l’annexe du bâtiment historique en brique du journal Shin-A Ilbo, qui date des années 1930. Inscrit au patrimoine culturel coréen, il a abrité un temps la succursale coréenne du fabricant américain de machines à coudre Singer, avant de devenir le siège du premier quotidien coréen à diffusion commerciale, le Shin-A Ilbo.
La bonne réputation des vêtements vendus par Gajungsic ne cesse de croître grâce au bouche-à-oreille et on entend souvent parler à leur sujet de l’esprit de Seochon, mais en quoi est-ce le cas ?
« C’est parce qu’ils donnent une allure naturelle », explique leur créatrice. « Ils sont à la fois assez simples pour être portés en se promenant en toute simplicité dans ce quartier, mais aussi d’une certaine élégance pour convenir à la visite d’un musée. Dépourvus de tout caractère ostentatoire, car n’étant pas faits pour attirer l’attention, ils ne donnent pas pour autant une impression de négligence. Les vêtements se trouvent au contact direct du corps et le couvrent jour après jour, alors je les veux capables d’apaiser. Quand les gens affirment que les nôtres rappellent bien l’atmosphère qui règne à Seochon, je pense qu’ils veulent parler d’un équilibre entre confort et propreté, d’une impression chaleureuse, paisible et accueillante ».
Kim Woo-Jung habite depuis cinq ans ce quartier auquel elle trouve un charme sans pareil depuis le coup de cœur qu’elle a éprouvé en le découvrant, après des années passées à vivre dans différents endroits de Séoul, son adresse actuelle étant la dix-huitième dans cette ville et la troisième depuis son mariage. Aux côtés de son époux Jeong Yeongmin, elle occupe aujourd’hui les troisième et quatrième étages d’un immeuble à usage mixte. Séduite par la grande luminosité des lieux et la vue imprenable sur le mont Inwang dont on dispose de la fenêtre du salon, elle a décidé sur-le-champ de s’y installer.
« Seochon réalise l’équilibre parfait entre tradition et modernité. À quelques pas des gratte-ciel imposants qui s’élèvent un peu partout, on peut s’enfoncer dans des petites rues pleines de charme comme celles où je jouais dans mon enfance. Les hanok [maisons traditionnelles coréennes] et les habitations modernes s’y côtoient harmonieusement. C’est un quartier unique en son genre où l’on voit aussi bien des vieilles dames en train de mettre leurs piments à sécher au soleil sur les trottoirs que des jeunes habillés à la dernière mode qui déambulent. Ce contraste, qui fait la particularité de Seochon, ne se retrouve pas dans les quartiers commerçants de Myeongdong ou de Gangnam, car il résulte d’un mode de vie quotidien qui lui confère animation et authenticité ».
Sur le toit, d’où l’on dispose d’une vue superbe sur le mont Inwang, le passionné de jardinage qu’est Jeong Yeongmin plante et entretient des espèces végétales variées. Le soir venu, son épouse aime à y monter pour contempler le coucher de soleil sur le quartier de Seochon.
Le contact avec la nature
À Seochon, les traces du passé se mêlent aux odeurs du quotidien et le grand âge représente une vertu, tandis que la proximité avec la nature, par ses effets apaisants et réparateurs, représente un bienfait supplémentaire.
« C’est un quartier situé à faible altitude et qui ne possède pas de grands immeubles, ce qui permet de voir le mont Inwang à l’horizon. S’il se situe dans la partie historique de la ville, il ne se trouve qu’à quelques pas de la vallée de Suseong-dong et d’une terrasse d’observation offrant une vue imprenable sur Séoul. Tout en vivant à quelques pas du centre, il est possible de prendre du recul par rapport à l’agitation de la ville. C’est l’endroit idéal pour qui souhaite se détendre et se ressourcer. C’est ce qui me plaît tant à Seochon », explique Kim Woo-Jung.
Une pie vient de se poser sur le ginkgo visible de la fenêtre du salon. « Ce printemps, deux pies y ont fait leur nid, alors elles volètent sans cesse de côté et d’autre pour glaner des brindilles. Je me demande souvent où elles trouvent tout ça. Parfois, elles en laissent tomber et il y en a partout sur le sol ».
Le couple a rénové et décoré son logement en y apportant autant de soin que ces oiseaux qui font leur nid. Après avoir tourné la dernière page d’une brillante carrière dans la publicité et le marketing pour aborder une nouvelle étape de sa vie, Jeong Yeongmin a entrepris la transformation du domicile conjugal. Peinture, choix de nouvelles couleurs pour les portes et placards intégrés, nouvel éclairage, remplacement des poignées de porte et de placard : autant de travaux qu’il a conclus par une touche personnelle au moyen d’objets que sa femme a rapportés de ses voyages en Europe et qui confèrent à cet intérieur une atmosphère originale et chaleureuse.
Le couple a aussi agrémenté cette décoration de tapis et meubles choisis avec goût dans des boutiques vintage. Sur le toit en terrasse du logement, se trouve un jardinet où poussent des anémones qui restent en fleur jusqu’aux premières gelées, de la menthe pomme qui dégage son parfum agréable, de la gypsophile et de l’armoise argentée. En à peine un an de vie dans ce lieu, ils en ont fait peu à peu, par une démarche bien pensée, un habitat conforme à leurs goût et à l’idée qu’il doit être fait pour ses occupants.
Kim Woo-Jung et son époux ont aménagé leur intérieur avec soin et l’ont décoré des objets vintage qu’ils ont glanés au fil du temps. Ils accueillent souvent leurs connaissances du voisinage pour maintenir un lien de convivialité dans leur cadre de vie.
Aux murs du salon, Kim Woo-Jung a accroché des œuvres d’artistes du quartier tels que ce petit tableau de Sue Oh intitulé Pierres du mont Inwang ou cette œuvre de Ko Jiyoung qui orne le mur d’un jaune beurre accueillant. Sous cette dernière, une poupée artisanale réalisée par la tricoteuse Bosong Kang repose sur un meuble de rangement. Aucun de ces objets n’est présent qu’à titre décoratif, car chacun témoigne des liens d’amitié qui unissent la créatrice à ces artistes en raison de leurs affinités.
« Il y a peu, j’ai appris qu’un artiste verrier que j’admire habite ici depuis des années. Seochon est peuplé de gens qui vivent pour leurs passions d’une manière ou d’une autre » explique Kim Woo-Jung. « Dans ma salle d’exposition, j’aime parfois présenter les œuvres d’artistes dont les goûts sont au diapason des miens. Je trouve qu’elles se marient très bien avec mes vêtements ».
Adepte de l’ukulélé et du travail du bois, son mari a transformé le grenier du quatrième étage en un espace à l’ambiance chaleureuse qui se prête à l’accueil de discussions littéraires et autres petits événements culturels. « Tout comme certains partagent des repas avec leurs voisins, nous partageons notre culture et nos découvertes avec les nôtres, » explique Kim Woo-Jung.
La créatrice s’épanouit non seulement dans une activité qu’elle aime et grâce aux liens d’amitié qu’elle a tissés avec des gens intéressants, mais aussi par le réconfort et la sérénité que lui apporte la nature environnante dès qu’elle en éprouve le besoin. Ces possibilités s’offrent toutes à elle grâce à son lieu de vie qu’est Seochon, ce quartier propice à une création intelligente de vêtements empreints d’authenticité.