Jusqu’à la découverte d’un tombeau royal qui allait livrer une mine d’informationssur le royaume de Baekje, ce dernier était resté méconnu en raison de l’insuffisancede traces écrites s’y rapportant. C’est en 1971 que fut mise au jour cette sépulturelors de travaux de drainage effectués au cimetière royal de Songsan-ri, uneagglomération voisine de Gongju, qui fut capitale de Baekje pendant la périodedes Trois Royaumes (57 av. J.-C.- 668). Dernière demeure du roi Muryeong, cemonument funéraire est le seul de cette époque à avoir été identifié.
La salle principale du tombeau du roiMuryeong, vue du couloir. Sa sépulturefut découverte en 1971 dans le cimetièreroyal de Baekje situé à Songsan-ri,une commune de l’agglomération deGongju. Destinée à ce monarque età son épouse, elle comportait unechambre rectangulaire voûtée composéede briques aux formes et motifsdifférents renfermant des cercueils debois qui s’étaient brisés au fil du temps.
Située dans une région d’Extrême-Orient soumise au régimedes moussons, la péninsule coréenne s’apprêtait à entrerdans la saison des pluies en cet été 1971 et, si les fortesprécipitations qui la caractérisent sont redoutées pour les ravagesqu’elles peuvent occasionner au patrimoine culturel, elles allaientcette fois s’avérer des plus bénéfiques à Gongju.
Cette ville située dans l’actuelle province du Chungcheong duSud fut la deuxième capitale du royaume sept fois centenaire deBaekje. Fondé en 18 av. J.-C., celui-ci connut la prospérité aux côtésde ceux de Silla et de Goguryeo avec lesquels il constituait l’Étatantique des Trois Royaumes. À Songsan-ri, l’une des communesde l’agglomération de Gongju que traverse le Geum du nord ausud, se trouve un groupement de tombeaux royaux qui furent aménagésau pied d’une colline de faible hauteur. C’est sous une pluiebattante et de manière tout à fait fortuite que le tombeau du roiMuryeong (r. 501–523), vingt-cinquième du royaume de Baekje, etde son épouse, fut mis au jour dans ces hauts lieux de l’histoire oùles tumuli millénaires dessinent paisiblement leurs contours.
Un assainissement en vue de la saison des pluies
Un ouvrage du XVIe siècle intitulé Sinjeung dongguk yeoji seungnam(Étude révisée et augmentée de la géographie de Corée)dépeint en ces termes les tombeaux royaux de Songsan-ri dansle passage qu’il consacre à Gongju : « On trouve une école communaleà 3 li à l’ouest de la ville, près d’un ensemble de tombesanciennes. Il s’agirait de sépultures royales d’époque Baekje,mais nul n’a de certitude sur l’identité des défunts ». Ainsi, l’originede ces tombeaux fut connue dès la période de Joseon et il fallutattendre la première moitié du XXe siècle pour que des fouillesrévèlent qu’elles faisaient partie d’un cimetière aménagé entre 475et 538 à Ungjin, qui est l’actuel Gongju et avait été pris pour capitale.Au début des années 1970, la découverte des six tumuli surmontantces sépultures supposées royales allait valoir à ces lieux d’êtreclassés sites historiques par les pouvoirs publics.
Par la suite, l’été et ses pluies diluviennes allaient y provoquerd’importants dégâts, car les torrents d’eau qui dévalaient des colliness’infiltraient dans les chambres funéraires souterraines. Afind’en préserver les tumuli n°5 et n°6 situés côte à côte d’est enouest, l’Office du patrimoine culturel, renommé depuis Administrationdu patrimoine culturel et directement rattaché au ministère dela Culture et de l’Information,décida alors de réaliser unesaignée parallèle au site, quetrois mètres séparent de la collineoù il s’adosse. Le chantierallait débuter dès le 29 juin suivant,à l’époque où le front desmoussons commençait à sedéplacer vers le nord en directionde la côte sud de la Corée,avec pour if d’achever les travaux avant le début de la saisondes pluies.
Pas plus tard que le 6 juillet, il était environ quatorze heuresquand la pelle de l’un des ouvriers qui réalisaient la saignée a heurtéde la roche. « Un rocher du fleuve sous terre ? J’ai tout de suitecompris que c’était autre chose, car, s’il y a des blocs de pierre à unendroit pareil, ce sont le plus souvent ceux de tombes. En creusantdavantage, nous avons trouvé un gros ouvrage de maçonnerie enbrique entouré de terre qui contenait du calcaire, puis j’ai entenduun bruit métallique quand ma pioche a touché un objet très dur quiétait une brique ancienne », se souvient Kim Yeong-il, qui dirigeaitalors le chantier confié à la société Samnam Construction. Cet incidentinattendu allait prendre l’envergure d’un véritable événementet entrer dans l’histoire de l’archéologie coréenne en permettant lamise au jour d’un magnifique tombeau royal. Cette masse de pierrequ’avait frappée la pioche n’était autre que le plafond de l’extrémitésud du couloir menant à la chambre principale entièrement composéede brique traditionnelle.
S’il était trop tôt pour se prononcer sur l’identité du défunt, sasépulture rappelait beaucoup celle du tombeau n°6 situé exactementen vis-à-vis par son agencement et l’exécution de son briquetage,ce qui laissait supposer qu’il s’agissait d’une chambre funéraireroyale demeurée intacte.
Des inondations nocturnes
Quelle était la marche à suivre après cette découverte ? La procédurenormale voulait que le responsable du chantier en informeaussitôt Kim Yeong-bae, qui dirigeait la succursale de Gongju duMusée national de Corée, c’est-à-dire l’actuel Musée national deGongju, et devait transmettre à son tour un rapport à l’Office dupatrimoine culturel pour en obtenir l’autorisation d’entamer desfouilles, mais l’enthousiasme était tel que ces étapes n’allaient pasêtre respectées. Le jour même de la découverte, des fonctionnairesdu musée se sont empressés de faire réaliser des excavations sousla supervision d’archéologues de la région, ce qui leur a permisd’acquérir la conviction qu’il s’agissait bien d’un tombeau royal enbrique d’époque Baekje.
Dès le lendemain, c’est-à-dire le 7 juillet, la municipalité allaiten faire état auprès de l’Office du patrimoine culturel, lequel allaitinterdire toute nouvelle opération non soumise à son approbation,puis dépêcher ses spécialistes pour effectuer des recherches surle site et lancer la campagne de fouilles officielle. L’équipe qui arrivasur les lieux le 8 juillet était conduite par Kim Won-ryong, alorsdirecteur du Musée national de Corée, et se composait de chercheurstels que Cho Yu-jeon et Ji Gon-gil (voir encadré), qui exerçaientau sein de l’Institut de recherche sur le patrimoine culturelrattaché à l’Office du patrimoine culturel.
Découverts dans le tombeau du roi Muryeong, cesornements de couronne en forme de chèvrefeuilleflamboient aujourd’hui encore, car ils furent découpésdans une plaque d’or massif. Longueur : 30,7cm. Largeur : 14 cm. Trésor national n°154. Muséenational de Gongju.
La découverte du tombeau du roi Muryeong a tiré des oubliettes de l’histoire ce royaume de Baekje quisemblait confiné à un obscur épisode de l’Antiquité coréenne par manque de littérature sur le sujet.L’analyse rigoureuse des vestiges que recelait cette sépulture révèle l’histoire de cet ancien État dansun tout autre éclairage.
Les ornements de la couronne de la reine se trouvaientà l’emplacement de sa tête. Longueur : 22,2cm. Largeur : 13,4 cm. Trésor national n°155. Muséenational de Corée.
Les fouilles allaient reprendre le jour même à seize heures, maisêtre brusquement interrompues par des pluies torrentielles quiallaient inonder le site et menaçaient de provoquer des infiltrationsd’eau dans la sépulture royale. L’équipechargée des fouilles allait devoir abandonnerle chantier et les ouvriers, creuser enpleine nuit un fossé destiné à l’écoulementdes eaux. À l’issue d’une réunion organiséedans un motel du centre de Gongju pourdiscuter des mesures à prendre, les chercheursallaient décider de se remettre autravail dès le lendemain.
L’exaltation à son comble
Le beau temps était heureusement aurendez-vous en ce matin du 8 juillet, alors,sans plus attendre, les fouilles allaientrecommencer dès cinq heures, ce qui allaitpermettre de dégager l’entrée du couloirmenant à la chambre principale. À n’en pasdouter, on venait de découvrir un tombeauroyal de Baekje. Avant de pénétrer dans lasépulture, à seize heures précises, l’équipeallait accomplir un discret rite en l’honneurdes défunts monarques et déposeren guise d’offrande du lieu jaune séché etdu vin de riz sur une petite table. Elle allaitensuite entreprendre de retirer une à uneles briques qui fermaient l’entrée depuis1500 ans et, lorsqu’allait tomber la dernière,un courant d’air frais allait s’engouffrerdans le couloir obscur en produisantune vapeur blanche qui donnait l’impressionde se trouver dans une voiture climatiséeen plein été.
Quand l’ouverture ménagée allait permettrele passage d’un homme, Kim Wonryonget Kim Yeong-bae allaient s’avancerdans le couloir en s’éclairant d’une lampeà incandescence. Celui-ci était d’un aspectlugubre et un homme de taille moyenne nepouvait se tenir tout à fait debout sous son plafond bas, voûté et envahi par des racines d’acacia qui faisaitpenser à un château hanté. Arrivée à mi-distance, les deux confrères allaient tomber sur la statueen pierre d’un animal sauvage qui pouvait être un sanglier, au vu de ses défenses, et était de toute évidencedestinée à défendre le tombeau contre les esprits maléfiques.
Les archéologues qui ouvrirent le tombeau du roiMuryeong le 8 juillet 1971 accomplirent tout d’abordun bref rite commémoratif
Les enseignements d’un manque d’organisation« Au risque d’avoir l’air de me chercher desexcuses, je dirais que toute l’archéologie coréenneétait de ce niveau à l’époque. Toutefois, les duresleçons de l’expérience m’ont été précieuses et leschantiers archéologiques ultérieurs ont été menésavec plus de méthode et selon une procédure clairementdéfinie ».
Aux yeux de Ji Gon-gil, qui fut le conservateur du Musée national de Corée de Gyeongju,l’ancienne capitale de Silla, les années 1970 représentent l’apogée de sa carrièrearchéologique. Il se remémore avec particulièrement d’émotion l’époque comprise entre1973 et 1976, car c’est alors qu’il participa à la mise au jour des deux sépultures royalesdites Cheonmachong et Hwangnam Daechong, c’est-à-dire, respectivement, la « tombedu cheval céleste » et la « grande tombe de Hwangnam ». Alors qu’il tire une fierté légitimede la réalisation de tels chantiers, celui de la tombe du roi Muryeong lui inspireratoujours de la honte.
Aujourd’hui président de la Fondation pour le patrimoine culturel coréen de l’étranger,Ji Gon-gil a effectué des études d’archéologie et d’anthropologie à l’Université nationalede Séoul avant d’entrer dans la fonction publique en novembre 1968 en tant que chercheurde l’Office du patrimoine culturel. Le 7 juillet 1971, il allait être dépêché dans l’urgenceà Gongju en compagnie de quelques collègues, de sorte qu’il ignorait, jusqu’à sonarrivée dans cette ville que venait d’y être découvert un tombeau ancien supposé daterdu royaume de Baekje et qu’il avait pour mission de diriger les fouilles correspondantes.« Aucun de nous n’était informé », se souvient-il. « Nous nous contentions de faire ceque l’on nous demandait. Quelle n’a pas été notre stupéfaction, une fois sur les lieux, endécouvrant ce tombeau en brique ancien dont on ne voyait que l’avant ! ».
Pour le jeune chercheur qui faisait ses premiers pas dans ce domaine, il était hors dequestion de prendre part aux décisions, et pourtant l’homme plus expérimenté qu’il estaujourd’hui se sent encore coupable de sa part de responsabilité dans ces fouilles quiresteront dans les annales de l’archéologie coréenne comme un échec dû à l’impréparation.« Au risque d’avoir l’air de me chercher des excuses, je dirais que toute l’archéologiecoréenne était d’un tel niveau à l’époque », confie-t-il. « Le chantier du tombeau duroi Muryeong a été réalisé de manière désordonnée et en commettant des négligences,puisque l’ensemble des opérations y ayant trait, de la découverte aux fouilles, étaientrévélées au fur et à mesure qu’elles se déroulaient à la presse et à la municipalité. Dansl’effervescence et l’exaltation du moment, il ne nous était pas facile de raisonner en toutesérénité. Toutefois, les dures leçons de l’expérience m’ont été précieuses et les chantiersarchéologiques ultérieurs ont été menés selon une procédure clairement définie ».
Ji Gon-gil a aussi des regrets quant à une autre de ses missions d’alors, à savoir deprendre des photos qui permettraient de conserver une trace de l’état du site lors de sadécouverte et de l’emplacement qu’y avaient les différents objets. Toutefois, il n’allaitfournir que très peu de vues de bonne qualité, et encore la plupart étaient-elles dues auxjournalistes présents sur les lieux. Interrogé à ce sujet, il explique ce qui suit :
« En fait, j’en ai pris un assez grand nombre à l’intérieur du tombeau. Ce n’est qu’enles développant, de retour à mon bureau de Séoul, que je me suis rendu compte de monerreur. J’avais eu beau m’équiper d’une caméra flambant neuve, je n’avais pas su m’enservir. Certains clichés étaient à moitié coupés et seuls quelques autres présentaient del’intérêt », explique-t-il. « C’était donc de ma faute et je n’en ai eu que plus de remords ».
Chaussures en bronze doré découvertesà l’emplacement des piedsdu roi. Longueur : 35 cm. Muséenational de Gongju.
Le couloir aboutissait à une chambre rectangulaire de dimensions modestes et à plafond voûté. Surle sol, gisait ce qui ressemblait dans l’obscurité à des planches usagées, mais allait s’avérer être lesrestes de cercueils en bois qui s’étaient brisés au fil du temps et dont les interstices laissaient devinerdes objets en or. Les deux archéologues n’en croyaient pas leurs yeux en se disant que personne n’avaitété en présence de ces vestiges depuis leur enfouissement. « Nous avons découvert un tombeau deBaekje en parfait état, qui plus est, celui d’un roi ! » s’écriaient-ils avec un irrépressible enthousiasme.
L’une des deux dalles en pierre quise trouvaient au centre du couloir dutombeau comporte une inscriptiongravée indiquant que l’emplacementde cette sépulture fut choisi par lesDieux du Ciel et de la Terre et précisantle nom du défunt, la date de sondécès et celle de son inhumation.Largeur : 41,5 cm ; longueur : 35 cm ;épaisseur : 5 cm. Trésor nationaln°163. Musée national de Gongju.
L’identité du défunt
Leur exaltation était à son comble quand, en rebroussant chemin, ils se sont trouvés devant deuxdalles en pierre qui faisaient face à une statue d’animal menaçant placée au beau milieu du couloir. Àla lumière de leur lampe, ils allaient y déchiffrer une inscription en idéogrammes chinois classiquesqui signifiait « Le roi Sama de Baekje, le grand général qui apporta la paix à l’Est ». Sama n’était ni plusni moins que le titre qu’avait conféré à Muryeong, roi de Baekje, un empereur de la dynastie des Liang(502–557) instaurée dans le sud de la Chine. Kim Won-ryong allait dire en parlant de ces moments :« J’étais si stupéfait que j’en oubliais qui j’étais ».
En découvrant l’identité du défunt, son exultation était telle qu’il en perdait de son discernement etprocéder aux fouilles dans la confusion la plus totale. Alors qu’un archéologue plus expérimenté auraitpris le temps d’interrompre les travaux pour retrouver ses esprits et décider sereinement des actionsà entreprendre, il allait au contraire décider de lancer immédiatement lesrecherches.
Troublé aussi par le désordre que faisaient régner les nombreuxjournalistes qui avaient accouru des quatre coins du pays et attendaientimpatiemment devant le tombeau pour révéler cette découvertehistorique, il allait commettre une seconde erreur en faisant extraire lecercueil royal aussitôt après son identification, de sorte que le 9 juillet à8h00, il ne restait plus sur les lieux qu’une chambre funéraire vide. Entretemps,personne n’avait eu la présence d’esprit de répertorier ce qui s’ytrouvait et dans quel état de conservation.
Animal de garde en pierre trouvédans le couloir. Longueur : 47 cm ;hauteur : 30 cm ; largeur : 22 cm.Trésor national n°162. Musée nationalde Gongju.
Le vieux royaume remis à l’honneur
Ainsi allait être mis au jour le tombeau du roi Muryeong, avec tropd’empressement et sans organisation ni méthode, comme pour un pillage. Dans la communautéscientifique, ce regrettable manque de professionnalisme n’allait pas manquer de susciterla consternation et d’incessantes critiques. Il n’enlevait cependant rien aux résultats,puisque, des 114 monarques que comptèrent les Trois Royaumes et celui de Silla Unifié quileur succéda, à raison de 31 à Baekje, 27 à Goguryeo et 56 à Silla, qui réalisa leur unité, seulMuryeong livra les secrets de sa sépulture à la postérité.
En outre, la découverte du tombeau du roi Muryeong allait tirer des oubliettes de l’histoirece royaume de Baekje qui semblait confiné à un obscur épisode de l’Antiquité coréenne parmanque de littérature sur le sujet. L’analyse rigoureuse des vestiges que recelait cette sépulturerévèle l’histoire de cet ancien État dans un tout autre éclairage. En termes plus concrets,elle a permis de se faire une idée des coutumes funéraires qu’observaient les sujets du royaumeenvers leurs souverains grâce au déchiffrement de l’inscription, gravée sur les deux dalles en pierre,selon laquelle le roi et la reine furent inhumés en un lieu choisi par les Dieux du Ciel et de la Terre.
La tombe de Muryeong et de son épouse recelait aussi de magnifiques objets en quantité impressionnante,puisque plus de 3 000 spécimens de cent types différents allaient être recensés, dont certainsprovenant évidemment de Chine. De plus, les cercueils en bois du couple royal se composaientde pin parasol du Japon, dont le seul habitat naturel est cet archipel, ce qui tendrait à démontrer que leroyaume de Baekje se livrait à des échanges culturels et commerciaux avec les États voisins par voiemaritime et que la famille royale entretenait d’étroites relations avec le Japon.
Visiteurs parcourant le Musée nationalde Gongju, où sont notammentexposés les cercueils en bois ducouple royal et l’animal qui les garde,tous se trouvant dans un état presqueintact suite à leur restauration.