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2017 WINTER

RUBRIQUE SPÉCIALE

La province de Gangwon, terre de montagnes, de mythes et de mémoireRUBRIQUE SPÉCIALE 1Lever de soleil sur la mer de l’Est

Une imposante chaîne de montagnes s’étirant à l’infini avant de plonger dans la mer, avec une splendeur qui s’oppose à la dure vie des hommes en un contraste bouleversant : cette image vient certainement à l’esprit de bien des Coréens lorsqu’ils pensent à leur province de Gangwon. Les senteurs épicées des calycanthe, le blanc lumineux des champs de sarrasin au clair de lune et le magnifique spectacle du soleil qui se lève sur la mer de l’Est sont autant d’impressions familières qu’ils ont tous ressenties et ceux d’entre eux qui n’ont jamais visité la région la connaissent forcément par les nombreuses œuvres littéraires et musicales qui l’évoquent.

Sur une scène improvisée aux faibles éclairages, un chanteur entonne en grattant sa guitare la chanson Five Hundred Miles de Peter, Paul and Mary. Dans la salle, les bruits cessent aussitôt et les spectateurs profitent de l’obscurité pour contenir tant bien que mal leurs émotions ou cacher leurs larmes. Cette scène qui se déroule dans le café d’une petite ville américaine est celle d’un clip diffusé sur YouTube.
Au gré des abstractions et associations d’idées, l’histoire est mise en chanson dans cet air qui évoque, par le biais d’un vagabond séparé des siens et de sa ville natale, les bouleversements qu’ont entraînés la construction des chemins de fer, la guerre civile, la Grande Dépression et les licenciements de milliers de gens, ces souvenirs touchant forcément le coeur de tout Américain.
Quoi de plus normal qu’une chanson qui a su nous émouvoir, ne serait-ce qu’à un moment de notre vie, nous permette de mieux comprendre ce que vivent d’autres peuples du monde, par-delà les idées reçues et malgré les différences qui séparent les cultures ? S’agissant de la province de Gangwon dont traite cet article, il serait judicieux, pour mieux aborder le sujet, d’écouter la chanson Le col de Hangyeryeong qu’a composée Ha Deok-kyoo et interprétée Yang Hee-eun.

En cheminant au mont Kumgang
La province de Gangwon rappelle la Suisse par sa géographie, car, de même que la seconde repose sur le socle alpin, la première est encadrée par le mont Kumgang, dont le nom aussi orthographié Geumgang signifie « montagne du diamant » et le mont Taebaek situé au centre de cette grande chaîne du Baekdu Daegan qui constitue l’épine dorsale péninsulaire. Au temps où l’économie coréenne dépendait encore principalement de l’agriculture, la région était pour le moins peu attrayante par ses conditions de vie. Un traité d’anthropo-géographie datant de la période de Joseon, plus précisément du XVIIIe siècle, et intitulé Taengniji, c’est-à-dire « guide écologique de la Corée », décrit la province de Gangwon en ces termes : « Le sol y est si stérile et rocailleux qu’avec un mal [unité de mesure équivalant à approximativement 18 litres] de semence, on ne peut espérer récolter que quelques mal de récolte ». Aujourd’hui encore, cela est en grande partie vrai et explique que nombre de Coréens fuyant l’oppression politique et sociale aient cherché refuge dans les villages de montagne perdus qui leur fournissaient une cachette idéale.
Pour donner une meilleure idée de l’hostilité du milieu naturel envers les activités agricoles, il convient de rappeler qu’à la lointaine époque où l’État levait l’impôt sur la vente des marchandises, la province de Gangwon ne possédait à cet effet que deux silos de céréales, c’est-à-dire bien moins qu’ailleurs dans le pays, et que ces faibles capacités se retrouvaient dans le nombre de bateaux qui transportaient du grain jusqu’à la capitale, ainsi que dans l’ampleur de leur cargaison.
La région de Yeongdong faisait en outre exception à la règle par une mesure dérogatoire qui lui permettait de conserver ces recettes pour l’utiliser à ses fins.

À Bongpyeong, qui a vu naître Yi Hyo-seok (1907–1942), ce grand champ de sarrasin rappelle l’une de ses oeuvres. Les corolles blanches s’épanouissent quand arrive septembre, mois des différentes manifestations qui commémorent ce romancier.

Cette exemption allait disparaître au XVIIe siècle, suite à la promulgation de la Loi d’uniformisation fiscale, dite Daedongbeop, en vertu de laquelle le calcul de l’impôt n’était plus effectué en fonction du nombre de ménages, mais de la superficie des terres, outre qu’il portait désormais non plus sur les céréales, mais sur le riz, de sorte que le fardeau supporté par les paysans pauvres allait s’en trouver considérablement réduit.
Jadis, les lettrés confucianistes qui composaient la classe dominante se plaisaient à séjourner en montagne pour y cultiver leur esprit avec le raffinement qui seyait à leur condition et ils en faisaient donc que passer dans la province de Gangwon pour se rendre au mont Kumgang aujourd’hui situé en Corée du Nord. Ce sommet fut alors si révéré qu’un poète chinois nommé Su Dongpo écrivit à son suje : « Comme j’aimerais être à Goryeo [ancien nom de la Corée] pour pouvoir admirer le mont Kumgang ». Il n’était pourtant pas chose aisée de s’y rendre, même pour les sujets de Goryeo.

Si l’on venait de Séoul, il fallait compter presque un mois à dos d’âne ou en chaise à porteurs et s’accompagner dans ce dernier cas d’au moins quatre domestiques, ce qui exigeait bien sûr d’être fortuné.
Pour une raison ou une autre, mais, toujours dans un but d’épanouissement intellectuel, l’élite de la société et ses érudits, poètes ou artistes aspiraient à effectuer ce voyage au mont Kumgang. À l’époque pré-moderne, toute une thématique relative à cette montagne est ainsi apparue dans les chroniques de voyage, souvent accompagnée des mêmes descriptions banales de ses paysages et de sa topographie agrémentées de quelques impressions personnelles. Un illustre lettré et peintre du XVIIIe siècle répondant au nom de Kang Se-hwang allait d’ailleurs décrier cet engouement en ces termes : « Il semble que les voyages en montagne divertissent beaucoup la noblesse, mais ces promenades au pied du mont Kumgangest sont des plus vulgaires ».
Tous ces récits n’étaient cependant pas d’une telle banalité, à l’instar de l’un d’entre eux intitulé Dongyuga, c’est-à-dire « chant du voyage à l’Est » et dû à un auteur anonyme des derniers temps du royaume de Joseon, car ce qui suit révèle une certaine observation des conditions de vie du peuple :
« Parti de Cheorwon pour gagner ces lieux, j’ai vu / des montagnes qui s’enchaînent sans fin, parsemées de rares habitations / des gens s’éreintant à labourer des champs rocailleux avec deux pelles attachées par une corde. / Des auberges où, par manque d’huile, on fait brûler des branchettes de pin pour s’éclairer, / et des chambres à peine chauffée par un fourneau d’argile et une cheminée installée dans un coin ».
Ces conditions de vie sordides ne faisaient cependant pas exception au XXe siècle et à l’époque napoléonienne, 85% des Français connaissaient aussi la misère. Dans la colonie japonaise que fut la Corée dans la première moitié du XXe siècle, cette extrême pauvreté ne concernait pas l’ensemble de la province aux yeux d’un écrivain.

Cette Cascade de Sambuyeon figure dans le Haeakjeonsincheop, c’est-à-dire l’« album qui révèle l’esprit de la mer et des montagnes » dû à Jeong Seon. 1747, encre et couleur sur soie, 31,4 cm × 24,2 cm.
Sous le royaume de Joseon, si les lettrés confucianistes ne faisaient que passer dans la province de Gangwon pour se rendre au mont Kumgang, ils y effectuaient souvent une halte pour admirer les beautés du paysage. Frappé par celle de la cascade de Sambu- yeon, qu’il découvrit à Cheorwon en cheminant vers ce célèbre sommet, le peintre Jeong Seon (1676–1759) s’y arrêta pour immortaliser ce spectacle.

Calycanthe et champs de sarrasin
Le romancier Kim Yu-jeong (1908–1937), benjamin d’une famille aisée qui vivait depuis des générations dans le village de Sille situé près de Chuncheon, une ville de la province de Gangwon, effectua de nombreux trajets entre celle-ci et la capitale lorsqu’il faisait ses études dans un établissement réservé aux plus brillants éléments. C’est à l’âge de 22 ans qu’il rentra définitivement dans cette commune peuplée qu’une cinquantaine de familles. Entretemps, beaucoup d’événements s’étaient produits, dont le décès prématuré de ses parents et la ruine dans laquelle son frère aîné avait entraîné sa famille par sa vie de débauche. Se retrouvant sans un sou pour payer ses études, outre qu’il venait de connaître une déception sentimentale et souffrait d’une maladie, Yu-jeong n’avait d’autre possibilité que de retourner au village en espérant pouvoir entrer en possession de la part d’hérigage qui lui revenait au terme d’un procès intenté contre son frère.
Toutefois, l’argent n’allait pas alléger les maux de ce corps et de cette âme à bout de forces, mais le repos que l’écrivain chercha en ce début de printemps sur les versants tapissés de corolles jaunes du mont Geumbyeong et l’accueil aussi chaleureux que sincère des gens du pays, en particulier ces villageoises « solides et sans façons, à l’image de cette nature dont elles étaient issues », mais incapables de « la moindre vantardise ou fatuité ».
Tandis qu’il passait ainsi sa convalescence dans son village et au contact de ses pays, Kim Yu-jeong entreprit de dispenser des cours du soir aux jeunes dans une chaumière qu’il avait fait aménager à l’arrière de son logis. C’est alors qu’une voisine lui conta l’histoire qu’elle tenait d’une deulbyeongi, l’une de ces marchandes d’alcool ambulantes qui se laissaient courtiser à l’occasion par leurs clients et qu’elle avait accueillie quelques jours chez elle. L’écrivain allait s’en inspirer pour composer cette nouvelle intitulée Un voyageur au village de montagne par laquelle allait débuter sa carrière de romancier attaché à témoigner de la dure vie des gens qui l’entouraient.
Les personnages en sont toujours de pauvres hères tels qu’il en rencontrait dans son village, tels ce paysan de L’épouse qui, éprouvé par son dur labeur et toujours plus pauvre, en est réduit à pousser sa femme à se faire marchande ambulante d’alcool (L’épouse), ou cet autre qui, dans Un champ de haricots où l’on récolte de l’or, en vient à penser que « mieux vaut creuser la terre pour y trouver de l’or que de se démener comme un beau diable toute l’année à travailler la terre pour n’en tirer que quelques sacs de haricots, tandis que celui d’Une averse « erre de montagne en montagne en entraînant sa jeune femme à la recherche d’une vie meilleure». Les récits qu’a livrés Kim Yu-jeong de ces existences misérables, dans cette écriture alliant candeur et humour qui lui est propre, figurent parmi les plus grandes œuvres littéraires du siècle dernier.
Au traitement du thème de l’appauvrissement des campagnes résultant de la spoliation coloniale et transformant toujours plus les paysans en métayers, allait succéder, chez Lee Hyo-seok (1907–1942), une volonté de se soustraire à cette cruelle réalité en se réfugiant dans un univers artistique créé de toutes pièces. Dans son essai le plus important intitulé En faisant brûler les feuilles mortes, ce romancier originaire de Bongpyeong, un village du canton de Pyeongchang, compare l’odeur de la fumée de ce feu de feuilles mortes à celle de grains de café torréfiés, ce qui lui donne l’idée d’apprendre à skier et de faire un sapin de Noël quand viendra l’hiver. Il composa ce charmant texte en 1939, alors que faisait rage la deuxième guerre sino-japonaise (1937–1945) et que les Coréens souffraient le martyre sous le joug impitoyable du colonisateur.
Par sa vision de la vocation de la littérature à « détenir le pouvoir magique de révéler la beauté de l’homme au milieu de sa trivialité et de son abjection », Lee Hyo-seok a échappé à la politique d’assimilation forcenée que menait le Japon sur le plan culturel. Dans cette perspective, il serait opportun, aujourd’hui encore, d’analyser sous un nouveau jour la nouvelle Quand refleurit le sarrasin, qui figure, de l’avis général, parmi les chefs-d’œuvre de la littérature coréenne, pour la situer plus précisément dans le parcours de l’auteur, entre le réalisme maladroit de ses débuts et le lyrisme grandiose des années ultérieures.
« La route était accrochée au flanc de la montagne. Il était minuit passé, et dans le calme ambiant, Heo entendit la lune respirer comme une bête à portée de main, et les tiges de haricots et les épis de maïs, trempés au clair de lune, paraissaient plus bleus que d’habitude. Le flanc de la montagne était planté en tout part de sarrasin, et les fleurs à peine écloses, aussi sereines que le sel saupoudré sous le doux clair de lune, étaient à couper le souffle. Les tiges rouges de sarrasin étaient aussi ténues qu’un parfum, et l’allure de l’âne, gaie ». [extrait de Quand refleurit le sarrasin].
C’est pour rendre hommage à ces deux romanciers et à leurs écrits que la Province de Gangwon a créé le Village littéraire Kim Yu-jeong et le Musée littéraire Lee Hyo-seok respectivement situés dans leurs villages de Sille et Bongpyeong, où se trouve encore leur maison natale.

Cours d’eau, routes enneigées et autoroutes
Dans la province de Gangwon, nombre de routes se situent à environ mille mètres d’altitude. Quant aux cours d’eaux, il prennent pour la plupart leur source en haute montagne et se jettent en aval dans le Han. Jusque dans les années 1930, ils servaient principalement au transport du bois, que la dangerosité des routes rendait préférable par ce moyen. Les rondins de bois de charpente provenant des cantons septentrionaux d’Inje et de Yanggu flottaient en quantité sur le Bukhan, et ceux du bois issus de cantons méridionaux tels que Jeongseon, Pyeongchang ouYeongwol, sur le Namhan. Une fois réunis en trains montés sur des radeaux, ils descendaient ces fleuves jusqu’à Séoul en passant par Chuncheon, ce qui prenait une semaine d’Inje à Chuncheon et deux de Chuncheon à Séoul. Pour chasser l’ennui et la fatigue, les bateliers entonnaient souvent l’Arirang des Radeaux, une variante du chant folklorique Arirang de Gangwon-do qui en différait par ses paroles. Les radeaux transportaient aussi des cargaisons de porcelaine blanche de grande qualité, de plantes médicinales et de bois de chauffage en provenance de Yanggu ou Bangsan et destinés être commercialisés dans la capitale.
Le Bukhan jouait un rôle important dans le commerce fluvial qui se déroulait entre Séoul et Chuncheon. Les bateaux transportant le sel de Séoul ou les céréales de l’impôt récoltées dans la province de Gangwon y naviguaient jusqu’à la construction de barrages hydro-électriques qui eut lieu au début des années 1940. Leur lit s’est vidé de son eau pour les besoins de l’électrification de la province. Autrefois envahi par quantité de trains de bois, le Naerin retentit aujourd’hui des exclamations et cris de joie des jeunes sportifs qui pratiquent le rafting.

De même que dans la province de Gangwon, toutes les routes ont la particularité d’aboutir au littoral, la mer qui baigne celui-ci n’est pas comme les autres, car elle revêt une dimension mystique.

Autant les fleuves et rivières reliaient la province au monde extérieur, autant ses routes enneigées faisaient obstacle à ces échanges. Une marche sur l’une d’elles en plein hiver, quand la neige arrive jusqu’aux genoux, suffit à mesurer la dureté de ces vies pourtant si dignes dans leur détresse et l’on se dit alors que l’existence est comme un pain amer. En littérature et dans différents arts, elles prennent souvent valeur de métaphore des mortifications et souffrances éprouvées par le soldat blessé qui s’en retourne au pays. Une nouvelle de Hwang Sok-yong intitulée Sur la route de Sampo évoque ainsi les errances sur des routes enneigées de trois laissés-pour-compte de l’industrialisation coréenne qui cherchent un mystérieux village nommé Sampo. Dans le film Route enneigée, des jeunes filles réduites en esclavage pour servir au repos du guerrier sous l’occupation japonaise rentrent au pays, à la fin de la Seonde guerre mondiale, en traversant les bois de bouleaux d’Inje aux d’où elles voient l’horizon barré par les sommets du col de Daegwallyeong.
En 1971, était mis en service le premier tronçon de l’autoroute de Yeongdong, suivi d’un second, qui allait prolonger cette artère jusqu’à Gangneung, en passant par Hoengseong et Pyeongchang. Sur les cols de la province de Gangwon, ont fait depuis leur apparition des sentiers de randonnée à l’intention des citadins, tout comme certaines plages de la côte Est autrefois réservées à un usage militaire sont désormais ouvertes au public. Dans les années 1970, la chanson La chasse à la baleine que chantait Song Chang-sik dans la bande originale du film à succès La marche des fous était très appréciée des jeunes, qui la chantaient à pleins poumons en s’accompagnant à la guitare. Un morceau repris en chœur dit ainsi : «Allons à la mer sur la côte est ! ». C’était un temps où les vacances sur ces plages étaient considérées être un luxe, même si l’on campait et que l’on s’y rende par un petit train de montagne ou par un autocar roulant sur l’autoroute rectiligne.
L’année même où celle-ci est entrée en service, la station de ski de Yongpyeong a ouvert ses pistes aux amateurs de sports d’hiver. Une cérémonie s’y est tenue l’année dernière en son point culminant dans la perspective des Jeux Olympiques d’hiver qui se dérouleront prochainement à Pyeongchang.

En différents points de sa côte, la province de Gangwon offre une ma- gnifique vue du soleil qui se lève sur la mer de l’Est. Plus qu’une vaste étendue d’eau, celle-ci représente non seulement un endroit où les Coréens peuvent se détendre loin de leurs obligations quotidiennes, mais aussi un important lieu de mémoire, par les événements historiques qui s’y déroulèrent.

Les routes de la mer de l’Est
En décembre 2016, lors d’une veillée aux chandelles organisée pour protester contre la présidente de la République aujourd’hui destituée, la chanteuse Han Young-ae allait entonner de sa voix enrouée bien particulière, devant près de deux millions de personnes, la chanson Mon pays, Mon peuple qui commence par ces mots : « Regardez, le soleil sur la mer de l’Est. / Sur qui darde-t-il ses rayons brillants ? / Sur nous, qui avons agi avec une noble pureté / lors de luttes sanglantes ».
Cet air a été composé dans les années 1970 sur un texte de Kim Min-ki, à qui est également due la célèbre chanson engagée La rosée du matin datant de l’époque où il était étudiant. Quant à celle intitulée La chasse à la baleine, il s’agit d’une création de Choe In-ho, qui était alors un jeune et célèbre romancier. L’ironie du sort a voulu que de tels succès populaires interviennent au même moment que la construction de cette autoroute de Yeongdong qui était à la fois la réalisation d’un régime dictatorial et le symbole d’une industrialisation qui allait engendrer un développement économique rapide.
De même que, dans la province de Gangwon, toutes les routes ont pour particularité d’aboutir au littoral, la mer qui baigne celui-ci n’est pas comme les autres, car elle revêt une dimension mystique. Est-ce pour cette raison que ces artères franchissent d’innombrables et vertigineux cols tels que ceux de a chaîne du Baekdu Daegan, c’est-à-dire du Hangyeryeong, du Misiryeong ou du Daegwallyeong ? Pour fuir le rythme frénétique de la vie moderne, le voyageur ira-t-il se délecter du spectacle vivifiant de la mer ou préférera-t-il s’arrêter de nuit sur une plage, après de longues heures de conduite sur l’autoroute, pour assister au premier lever de soleil de l’année le temps d’une brève halte ?
Mais il faut cesser d’accorder les instruments, car le moment est venu de jouer.



À Pyeongchang, fête et musique font vivre la culture

Ryu Tae-hyungChroniqueur musical

La station de ski de Yongpyeong accueillait en 2004 la première édition du Festival de musique de Pyeongchang (PMFS), une manifestation musicale d’envergure dont la première édition a eu lieu voilà treize ans en ces mêmes lieux. Inspirée du célèbre Festival-école de musique américain d’Aspen, elle se veut une sorte de salon estival de la musique alliant des concerts classiques et à des stages de formation. Autrefois sinistrée après la fermeture des mines, cette petite ville de 6 000 habitants allait connaître une nouvelle vie avec la création d’un festival de musique qui figure parmi les meilleurs des États-Unis.

Placés sous la direction du maestro Zaurbek Gugkaev, l’Orchestre du Marinsky et la Compagnie de l’opéra de Saint-Pétersbourg interprètent L’amour des trois oranges de Sergei Prokofiev sous le Chapiteau de la musique d’Alpensia. C’est lors de la dernière édition du Festival de musique de Pyeongchang qu’a été donnée pour la première fois cette oeuvre adaptée de la pièce de théâtre éponyme qu’écrivit au XVIIIe siècle le dramaturge italien Carlo Gozzi.

C’est en prenant cette manifestation pour modèle qu’un professeur Kang Hyo, de la Juilliard School, a mis sur pied le PMFS avec l’aide des solistes de Sejong. Cette création n’a pourtant pas bénéficié de conditions très favorables, car la grande scène de la salle Nunmaeul [Village de neige] n’étant pas conçue pour ce type de spectacle, il fallait faire usage d’amplificateurs pour que le public puisse bien entendre la musique, le bruit des différentes activités qui se déroulaient à proximité nuisant aussi à une bonne écoute. Il est notamment arrivé que les spectateurs sursautent pendant un concert en entendant les cris d’escrimeurs qui s’entraînaient dans une salle de sport voisine.
En dépit de ces premiers obstacles, le PMFS allait attirer toujours plus de mélomanes par la variété de ses spectacles, mais aussi par la fraîcheur agréable qu’il offrait en plein été de par la situation de la ville sur un plateau d’environ 700 mètres d’altitude. Sa programmation minutieusement élaborée à partir de thématiques chaque année différentes est particulièrement appréciée dans les milieux de la musique aussi bien étrangers que coréens. Adoptant un parti-pris d’éclectisme musical, il s’emploie, par-delà la représentation des plus grands morceaux classiques, à faire jouer en avant-première des chefs-d’œuvre méconnus et des compositions contemporaines expérimentales provenant de Corée, du reste de l’Asie ou d’autres lieux du monde.
L’année 2010 allait voir l’ouverture au public de la salle de concert Alpensia, dont la conception est particulièrement bien adaptée à la musique classique et où les artistes renommés qui se sont produits cette année ont joué à guichets fermés. Outre ces grands musiciens, de brillants étudiants et leurs professeurs y ont accouru des quatre coins du monde. brUn an plus tard, la violoncelliste Chung Myung-wha et la violoniste Chung Kyung-wha allaient se joindre au comité organisateur du festival pour en assurer la direction artistique et faire ainsi bénéficier cette manifestation de leurs nombreuses relations dans le monde de la musique. Lors de sa huitième édition, qui se déroulait cette année-là sur le thème de l’illumination, le PMFS allait attirer le nombre record de 35 000 spectateurs, que des circuits thématiques tels que ce « Concert de voyage » avaient aussi encouragés à faire le déplacement.

Le thème choisi pour cette année 2017 allait être celui des « Grands maîtres russes », avec notamment la représentation d’un célèbre opéra sous la « Tente de la musique » dont s’est doté le festival en 2012 et par lequel il démontre sa capacité à dépasser sa vocation initiale centrée sur la musique de chambre pour s’étendre à l’art lyrique. Aux côtés d’autres jeunes musiciens, la pianiste Son Yeol-eum, qui est aussi la directrice artistique adjointe du Festival, allait offrir au public un spectacle d’une qualité exceptionnelle.

Dans le cadre du volet que consacrait cette manifestation à de grands virtuoses, les violoncellistes Chung Myung-wha, Lluís Claret et Laurence Lesser (de gauche à droite) interprètent le Requiem de David Popper, avec Kim Tae-hyung au piano.
Outre les concerts que donnent de célèbres artistes une formation à la musique est aussi proposée dans le cadre du festival.

Celle-ci permet de suivre un enseignement dispensé par de grands musiciens avec lesquels les élèves ont même l’occasion de faire connaissance dans les salles où ils jouent, mais aussi dans les restaurants ou cafés de la station, et pourquoi pas au gré d’une randonnée ?
En cultivant ses liens avec les entreprises, le PMFS bénéficie du soutien de celles-ci, à l’instar de Yamaha Corporation, qui a fait don de quarante pianos destinés à accroître la capacité d’accueil des salles de répétition destinées aux artistes comme aux étudiants. Les appuis financiers proviennent aussi de compagnies aériennes et d’établissements commerciaux coréens tels que Terarosa Coffee. Au nombre des festivaliers, les dirigeants d’agences artistiques nationales étaient aussi très représentés à cette manifestation qui fait désormais référence dans la profession.
Dans le cadre de la promotion des Jeux Olympiques d’Hiver de Pyeongchang, a aussi été créé dans cette ville, en février 2016, un Festival de musique placé sous le haut patronage du ministère de la Culture, des Sports et du Tourisme et relevant pour son organisation de la Fondation des arts et de la culture de Gangwon.

Figuraient au programme de cette première édition axée sur l’éclectisme et la vulgarisation artistique des récitals et concerts de musique de chambre interprétés par les lauréats du Concours international Tchaikovsky, ainsi que des spectacles de jazz donnés par la chanteuse NahYoun-sun et le guitariste Ulf Wakenius.

Lee Chang-guyPoète et critique littéraire
Ahn Hong-beomPhotographe

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