Dans la province de Gangwon, la mer, les rivières et les montagnes qui composent le paysage ont forgé une forte identité culturelle mêlant le bouddhisme des temples nichés sur les versants aux mélodies tour à tour tristes et joyeuses des barcarolles d’Auraji que chantaient les bateliers en emportant le bois sur leurs radeaux.
C’est dans le village d’Auraji situé non loin de Jeongseon, au confluent de deux cours d’eau qui se réunissent pour former le Namhan, que fut composé l’un des plus célèbres chants folkloriques coréens intitulé Arirang de Jeongseon. La région fut longtemps associée au transport du bois en provenance des lointaines montagnes de la province, se trouvant sur l’itinéraire des bateaux qui l’emportaient vers la capitale après y avoir fait escale.
Par son relief montagneux, sa bordure littorale et ses nombreux cours d’eau, la province de Gangwon exerce depuis toujours un grand attrait en toute saison. Aux baignades et sports nautiques de l’été, succède le spectacle des paysages changeants de l’automne, dont la vague rouge et jaune déferle peu à peu en direction du sud, suivis des joies du ski sur des pentes abondamment enneigées. C’est dans l’est de la péninsule coréenne que s’étend la province de Gangwon, de part et d’autre de la chaîne directrice du système montagneux du pays, qui est celle du Baekdu-daegan. Pour s’y rendre en partant de Séoul, il faudra donc franchir soit les cols de Daegwallyeong ou de Jinburyeong, soit celui de Misiryeong situé plus au nord. Le voyageur pourra aussi emprunter le train qui, en direction du sud, relie Séoul à Gangneung en desservant les villes de Taebaek et de Jeongdongjin. Par la route, il pourra enfin choisir une destination plus méridionale encore et prendre la nationale 7 qui longe la côte jusqu’à Goseong en passant par Samcheok, Donghae et Gangneung.La chaîne de montagne du Taebaek, l’une des grandes subdivisions de l’axe formé par celle du Baekdu-daegan, délimite les deux régions géographiques bien distinctes de Yeongdong et de Yeongseo, la première d’entre elles abritant les lieux dont il est fait mention plus haut. Quant à la seconde, dont la superficie est plus vaste, elle comprend les villes de Chuncheon, Hwacheon et Yanggu. Si la montagne est partout présente, le paysage côtier de Yeongdong s’oppose aux abondants cours d’eau de Yeongseo et le contraste qu’ils créent d’est en ouest, de chaque côté de l’épine dorsale du pays, est d’autant plus frappant au sein d’une même province. Principale artère montagneuse du pays, la chaîne du Taebaek aligne ses cimes qui culminent parfois à plus de 1500 mètres d’altitude, tels les monts Seorak, Odae, et Gariwang où se dérouleront les prochains Jeux olympiques de Pyeongchang, ainsi bien sûr que le mont Taebaek lui-même, vénéré à l’égal d’une montagne sacrée en Corée du Sud.
Si, aux côtés de ce sommet, le col du Daegwallyeong semblerait une colline, il joue un rôle essentiel en permettant de franchir la chaîne du Taebaek pour passer d’une région à l’autre. Au temps où l’aménagement des routes se heurtait aux obstacles du relief, le col du Daegwallyeong, qui s’élève à 832 mètres d’altitude entre Gangneung et Pyeongchang, constituait ainsi l’unique voie de communication entre les régions de Yeongdong et de Yeongseo. À mi-chemin entre montagne et colline, il continue de remplir cette fonction qui en fait la porte d’entrée de ces deux parties de la province.
Au pied de la chaîne du Baekdu-daegan, la topographie explique évidemment l’absence de villages, mais les vastes plateaux qui s’étendent aux environs du col du Daegwallyeong sont plus favorables à la présence humaine et du début de l’été à l’automne, ils sont envahis par la verdure des légumes cultivés à haute altitude. Quand, à l’âge de dix-sept ans, je suis monté pour la première fois au Daegwallyeong et que j’ai découvert ces champs de choux et de radis qui s’étendaient à perte de vue, ils m’ont fait penser à ce plateau nord-coréen de Kaema que je n’ai pourtant jamais vu, pas même sur une photographie. Ce devait être sous l’influence du mot « gowon », signifiant « plateau » en coréen, que comporte le nom de ce lieu, puis j’allais entendre les adultes parler entre eux de « bisan biya » à propos de Daegwallyeong,c’est-à-dire ce qui n’est « ni montagne ni plaine ». Aujourd’hui, je ne peux m’empêcher d’être triste en pensant à ce mont Geumgang qui, par-delà le Baekdu daegan, se dresse maintenant en Corée du Nord. Autrefois, mon défunt grand-père passait tout l’été dans le village d’Oncheon-ri qui s’étend au pied de cette montagne. En l’an 2000, l’occasion s’est présentée de me rendre en bateau jusqu’à ces lieux dont j’avais tant entendu parler mais, si mes compagnons et moi aurions aimé prolonger notre visite, cela allait malheureusement s’avérer impossible.
Des temples nichés au coeur des montagnes
Lorsqu’a été créée la zone démilitarisée (DMZ) qui matérialise la partition de la péninsule, le mont Seorak est devenu l’un des plus beaux sommets de Corée du Sud. Quand le marcheur parvient au rocher dit d’Ulsan, il s’émerveille devant le panorama qui s’offre à ses yeux et si l’automne y ajoute la beauté de ses feuillages, il ne pourra retenir une exclamation admirative. Des temples bouddhiques s’élèvent toujours au flanc des montagnes environnantes.
Le confucianisme ayant surtout connu un essor à Gangneung, ses alentours sont dépourvus de temples de grande envergure, que l’on trouve en revanche au mont Seorak, dans des endroits très reculés, tels les sanctuaires de Sinheung et Baekdam où vécut de longues années le moine Manhae, qui fut l’initiateur de la réforme du bouddhisme coréen, ceux de Woljeong et Sangwon se situant sur le mont Odae. Dans la cour du premier d’entre eux, s’élève une pagode en pierre octogonale datant du royaume de Goryeo et, en vis-à-vis, une statue de bodhisattva assis également en pierre, ces deux oeuvres étant les seules à avoir été épargnées par les incendies destructeurs de la Guerre de Corée. Quant au temple de Sangwon, il renferme nombre de précieux vestiges parmi lesquels figure la plus vieille cloche en bronze de Corée et une statue en bois du bodhisattva Manjusri dans son jeune âge à propos de laquelle existe une légende. Atteint d’une grave maladie de peau, le roi Sejo, qui régna pendant la période de Joseon, tentait de se soigner dans l’eau des plus célèbres sources du pays. Pendant qu’il se baignait dans celle d’un ruisseau situé en contrebas du temple de Sangwon, Manjusri lui apparut et lui frictionna le dos, ce qui eut pour conséquence de le guérir. Si les peintures murales du temple font le récit de cette légende, d’aucuns affirment que la statue de Manjusri se trouvait à l’origine au temple voisin de Munsu où l’avait fait placer la princesse Euisuk, fille du roi Sejo, pour prier pour son fils, et qu’elle n’aurait été apportée que plus tard au temple de Sangwon.
Des rivières qui sont un don de la nature
À son extrémité Est, là où elle rencontre la mer, la chaîne du Taebaek présente des versants escarpés plongeant brutalement dans l’eau, tandis qu’à l’Ouest, elle décline plus progressivement à hauteur du bassin hydraulique du Han et du Nakdong. Dans l’un des quartiers de la ville de Taebaek nommé Samsu-dong, s’élève le mont Samsuryeong, dont le nom signifie littéralement « montagne aux trois eaux » parce que, comme il l’indique, c’est là que se situe la ligne de partage des eaux de trois cours d’eau différents, à savoir le Han et le Nakdong, qui se jettent respectivement dans les mers de l’Ouest et du Sud d’une part, et l’Osip, ce ruisseau dont le cours aboutit à la mer de l’Est. Dans un vieux conte, il est dit qu’une goutte de pluie provenant du sommet de la montagne, se serait éclatée et divisée en trois pour arroser les mers de l’Est, de l’Ouest et du Sud. C’est aussi dans le quartier de Samsu-dong que se trouvent le Hwangji et le Geomnyongso, ces lacs où ont respectivement leur source le Nakdong et le Han.
Pour le peuple coréen, ce dernier, long de 514 kilomètres sur son cours principal, constitue une voie de communication vitale. Il prend sa source à Geomnyongso et franchit de nombreuses vallées où il reçoit ses affluents avant de parvenir à Jeongseon, qui est son lieu de confluence avec le Songcheon, un ruisseau auquel donnent naissance les sources du mont Hwangbyeong. Au confluent de ces deux cours d’eau, se trouve la ville d’Auraji, dont le nom signifie « deux eaux se rejoignant ». Outre qu’elle ajoute aux beautés du paysage, cette abondante hydrographie confère à la région de Jeongseon la pureté de son eau et la fertilité de ses sols pourtant très rocheux, un tel environnement incitant les touristes à venir profiter de la vue tout en se délectant de poésie, de musique et d’autres arts.
Autrefois, Auraji était aussi réputée pour le transport sur radeau du bois qui provenait du fin fond des montagnes de Gangwondo et était acheminé ainsi sur le Namhan jusqu’au quartier de Mapo situé dans la capitale, laquelle portait alors le nom de Hanyang.
Quand viennent l’été et la fête du radeau traditionnel du village d’Auraji, le fleuve résonne des accents du chant folklo- rique Arirang qui fut composé dans la région. Cet air qui parle des joies et peines du peuple se fait alors entendre tout le long du fleuve, de Chungju jusqu’à Dumulmeori et Yangpyeong, cette dernière ville se trouvant au confluent de ce cours d’eau et du Bukhan né au mont Geumgang. En amont de Yangpyeong, ce fleuve arrose successivement les villes d’Inje, de Yanggu et de Chuncheon.
En unissant leurs eaux, le Namhan et le Bukhan grossissent et forment un fleuve à part entière, ce dont bénéficient pareillement les régions situées tant en amont qu’en aval. Dans celles de Séoul et de la province de Gyeonggi, quelque 15 millions d’habitants consomment l’eau qui provient du Han, ce chiffre passant à seulement 800 000 en amont. Dans ces régions situées sur le cours supérieur du fleuve, l’eau n’est pas destinée à un usage industriel, mais avant tout aux adductions des particuliers et à l’emploi dans l’agriculture. C’est donc une eau d’une exceptionnelle pureté qui parvient aux habitations citadines.
Dans l’esprit d’un Sud-Coréen, le mot « mer » évoque invariablement ces eaux bleues de la mer de l’Est qui les font accourir sur des plages comme celle de Gyeongpo située à Gangneung. Une autre, appelée Jeongdongjin, est si célèbre pour le spectacle du soleil qui se lève sur la mer que la foule s’y presse tous les week-ends pour l’admirer. Alors que peu de trains s’arrêtaient autrefois dans la gare de cette petite ville, ce tourisme de masse y a considérablement accru le trafic, puisque ce sont désormais vingt-six trains qui y marquent chaque jour l’arrêt. La vue du soleil levant y est sans conteste exceptionnelle, comme en tout autre point de la côte, mais elle s’avère aussi particulièrement impressionnante, sur fond de clôtures de barbelés, au niveau du tronçon de ligne de démarcation qui s’étend dans la partie la plus septentrionale de la province de Gangwon.
Quand viennent l’été et la fête du radeau traditionnel du village d’Auraji, le fleuve résonne des accents du chant folklorique Arirang qui fut composé dans la région. Cet air qui parle des joies et peines du peuple se fait alors entendre tout le long du fleuve, de Chungju jusqu’à Dumulmeori et Yangpyeong, cette dernière ville se trouvant au confluent de ce cours d’eau et du Bukhan.
Des ponts tels que ce seopdari , un ouvrage en branchages jeté sur l’Odae, qui coule au pied du mont du même nom, permettent aussi de franchir les nombreux et profonds ravins de la province.
Ce bodhisattva assis en pierre orne la grande cour du temple de Woljeong qui s’accroche au flanc du mont Odae. Il s’agit d’une reproduction de l’oeuvre du XIe siècle exposée au musée de ce même sanctuaire.
Quand vient l’aube sur la zone démilitarisée
Il est un autre spectacle, celui des lumières de bateaux trouant le ciel de la nuit, qui le dispute en beauté à ces levers de soleil en mer de l’Est. Si l’ « ville sans nuit » se réfère essentiellement au fait que les rues sont bien éclairées, la mer l’est plus encore de nuit, quand des centaines de bateaux de pêche allument leurs myriades d’ampoules en partant pêcher le poulpe. Ils composent alors un paysage féérique, même vus du lointain sommet du Daegwallyeong, mais gagnent à être admirés de la côte.
La grandeur et la beauté de cette vue n’a d’égale que celle des durs labeurs accomplis de jour comme de nuit. Je me souviens encore des années de collège et de lycée que j’ai passées à Gangneung. Quelle que soit l’époque de l’année, les enfants de mineurs acquittaient toujours leurs droits de scolarité les premiers, tandis que ceux des paysans le faisaient quand ils le pouvaient et, ceux des pêcheurs, quand les prises poulpe étaient bonnes.
Au nord de Gangneung, s’étend le canton littoral de Yangyang et s’il ne se consacre pas spécifiquement à la pêche, il possède un ruisseau nommé Namdaecheon où commence la montaison d’automne du saumon. Les poissons pas plus grands qu’un doigt qui en partent vers la mer de l’Est, avant d’entreprendre leur épuisant périple jusqu’à l’océan, y reviendront quelques années plus tard gros comme le bras, après avoir traversé le Pacifique Nord par les mers de Béring et d’Okhotsk, et retrouveront ainsi leur ruisseau de Yangyang.
En poussant un peu plus au nord de cette ville, le voyageur parviendra à celle de Sokcho, qui est le principal port de pêche de la côte Est. À marée montante, les bateaux chargés de lieu jaune y accostaient en grand nombre, mais le réchauffement de la planète a depuis fait pratiquement vidé les océans de leurs poissons d’eau froide. Sokcho n’en demeure pas moins le centre de l’industrie de la pêche sur le littoral oriental et, en remontant celui-ci, on constatera aussi en certaines saisons l’effervescence qui règne sur les quais des ports de Geojin, Daejin ou Ayajin situés dans le canton de Goseong.
En progressant toujours plus en direction du nord, par la route du mont Geumgang, on tombe soudain sur les clôtures de la ligne de démarcation et le voyage s’arrête là, car seul l’Observatoire de la Réunification est ouvert au public. Aujourd’hui oubliée, une ligne de chemin de fer datant d’avant la libération qui a mis fin à l’occupation japonaise reliait Yangyang à Wonsan le long de la côte en passant par le mont Geumgang. La division de la péninsule le long du 38ème parallèle a mis fin à son exploitation et ses voies sont depuis lors désaffectées. Je me prends à rêver du jour où seront posés les rails tout neuf de cette liaison menant au mont Geumgang. Pour l’heure, il faut se résigner à contempler tristement les côtes nord-coréennes depuis l’observatoire.