Si Busan fait aujourd’hui figure de ville du cinéma, cette renommée ne s’explique pas tant par le Festival international du film (BIFF) qu’elle accueille chaque année que par les remarquables infrastructures dont elle dispose dans ce domaine sous forme d’installations et d’organismes variés.
Le 3 octobre dernier, avait lieu la cérémonie d’ouverture du 24ème Festival international du film de Busan au Centre du cinéma de cette ville. Réalisé en 2011, l’ensemble architectural qui accueille cette manifestation est constitué de trois bâtiments, dont deux de quatre étages et un de neuf. © NewsBank
Les perspectives qui s’offrent à Busan en tant que pôle d’activités culturelles sont évoquées dans un ouvrage intitulé Infrastructures culturelles et festivals de Busan que publiait en 2017 l’Institut des sciences humaines et sociales de l’Université nationale de Pukyong. Avant de participer à sa production, j’avoue avoir été assez sceptique à ce sujet, mais les recherches que j’allais effectuer dans ce cadre m’en ont donné une vision radicalement différente, tout au moins s’agissant de cinéma.
Jusque-là, je ne m’étais guère penché sur la question des infrastructures dont pouvait disposer la ville dans ce domaine. Pour moi, le nom de Busan était associé au mot « cinéma » en raison du Festival international du film, mais je me trompais, car les infrastructures dont s’est dotée cette ville justifient amplement sa réputation dans le septième art.
Parmi les nombreux organismes qui s’y trouvent, figurent en premier lieu le Conseil pour la promotion du cinéma et le Conseil de classification des produits audiovisuels coréens, un temps situés à Séoul et délocalisés à Busan en 2013. Si ces deux entités exercent leurs activités à l’échelle nationale, leur présence a sans conteste renforcé la place qu’occupe cette ville dans le cinéma coréen. Au niveau local proprement dit, celle-ci possédait d’ores et déjà les précieux atouts que sont la présence d’une cinémathèque, d’un Centre du cinéma et d’une Commission du film, ainsi que la création du Prix de la critique décerné lors de son festival.
Cinéphiles assistant à une projection en plein air sur l’esplanade du BIFF lors du 24ème Festival international du film de Busan. C’est là, au cœur du quartier historique de Nampo-dong, qu’ont eu lieu les moments forts de cette manifestation jusqu’en 2003, tandis qu’ils se déroulent désormais sur la plage de Haeundae. © Ville de Busan
Une ville pionnière
Afin d’assurer l’archivage et la projection d’œuvres cinématographiques, comme il incombe de le faire à toute cinémathèque, Busan allait précéder toutes les autres villes du pays en se dotant, dès 1999, d’un établissement de ce type au sein de son Centre de voile de la baie de Suyeong situé dans le quartier de Haeundae. La Cinémathèque de Busan s’attache plus particulièrement à faire découvrir œuvres méconnues, films d’art et productions indépendantes n’ayant pu faire l’objet d’une large distribution sur les circuits commerciaux, mais, à l’intention du public, elle organise aussi, depuis 2007, des formations variées aux métiers du cinéma.
Aujourd’hui, elle fait partie intégrante du Centre du cinéma qui a ouvert ses portes à Busan en 2011. Réputé pour sa conception originale due au cabinet d’architecture autrichien Coop Himmbelblau, le Centre du cinéma a orienté de manière décisive l’évolution qu’a connue la Cinémathèque de Busan, tout comme celle du Festival international du film.
Première du genre en Corée et deuxième d’Asie, la Commission du film de Busan (BFC) a quant à elle vu le jour en 1999, à l’initiative de la municipalité. Dans un contexte de renouveau du septième art coréen, cet organisme allait permettre de faire face à ce regain d’activité en regroupant les différents services administratifs concernés. Par la suite, plusieurs villes allaient s’engager dans cette voie et créer douze autres commissions régionales du film.
À la fin de 2018, pas moins de 1 300 films et autres créations audiovisuelles avaient bénéficié du soutien de la Commission du film de Busan, qui a par ailleurs apporté son appui à l’essor d’infrastructures locales dans le septième art.
Au nombre des grandes réalisations à mettre au crédit de cet organisme, il convient de citer la création du Busan Cinema House Hotel et des Busan Cinema Studios, qui participent de l’amélioration de l’environnement des tournages, du Busan Cinema Venture Center, qui accueille les activités d’entreprises spécialisées dans le cinéma et d’autres produits audiovisuels, de l’École du film asiatique de Busan, qui propose un cursus d’études en réalisation cinématographique, et du Centre des industries audiovisuelles, qui assure la formation de professionnels et fournit des prestations aux entreprises du secteur situées tant à Busan qu’à Séoul.
Lady-Bird-Transformation, Ralf Volker Sander, 2012, acier inoxydable, 10,2 m × 4,6 m × 2,6 m.Cette œuvre, qui orne le parvis de Dureraum, au Centre du cinéma de Busan, a été retenue à l’issue d’un concours international opposant de nombreux compétiteurs. En l’observant de face, on reconnaît la silhouette d’une femme, tandis que, de profil, elle évoque celle d’une mouette. © Eunhoxxi, blogue sur Naver
Le choix de l’indépendance
D’une apparition largement antérieure à ces différentes institutions ou initiatives, puisqu’elle remonte au mois de septembre 1950, c’est-à-dire en ces temps de Guerre de Corée où Busan était la capitale provisoire de la République de Corée, l’Association coréenne de la critique (KAFC) constitue le principal organisme coréen qui rassemble les professionnels de ce domaine. En 1958, elle s’est vu compléter par l’Association des critiques de cinéma de Busan (BFCA), qui constitue le premier groupe de critiques indépendants créé à l’échelle régionale.
La BFCA s’est donné pour mission de favoriser l’essor d’une vie culturelle riche et dynamique en faisant découvrir les œuvres de valeur du cinéma coréen et étranger au public, en lui apprenant à mieux les apprécier et en réalisant des recherches, outre qu’elle a été un temps l’organisatrice du concours du Film Buil, dont le prix était décerné par le quotidien régional Busan Ilbo. Par une critique extrêmement poussée et d’une grande ivité quant à la qualité des œuvres, cet organisme a favorisé l’essor du cinéma coréen tout en permettant au public de ce pays d’affiner ses capacités d’analyse et de jugement dans ce domaine.
Dès l’an 2000, la BFCA allait créer et décerner des prix selon un choix souvent guidé par des critères de couleur locale et d’anticonformisme, cette tendance étant révélatrice d’une volonté d’encourager les oeuvres qui se distinguent par leur originalité et se démarquant par-là même de l’optique dans laquelle sont remises les distinctions de la KAFC.
Ces différences d’approche sont apparues au grand jour lors de l’attribution des premiers Prix de la critique de Busan, celui du meilleur film étant revenu à Virgin Stripped Bare by Her Bachelors de Hong Sang-soo, qui évoque le triangle amoureux composé par deux hommes et une femme, alors que cette même œuvre n’avait pas été récompensée lors de la remise du Prix de la critique de la KAFC, dont c’était la vingtième édition cette année-là et qui allait couronner Peppermint Candy par son prix du meilleur film. Cette œuvre exprimant les angoisses d’un individu sur fond d’événements historiques tragiques était due à Lee Chang-dong, qui allait ravir le prix du meilleur réalisateur à cette même manifestation, tandis que Bae Chang-ho, metteur en scène de My Heart, allait passer pratiquement inaperçu lors de la remise du Prix de la critique de Busan.
Cette tendance allait se manifester de nouveau, en 2018, par l’attribution du Prix du meilleur film, dans le cadre du choix de la critique, à 1987: When the Day Comes, de Jang Joon-hwan, évoquant les militants à l’origine du mouvement pour la démocratie qui venait de se déclencher au mois de juin de cette même année. Le Prix de la critique allait quant à lui récompenser The Remnants, un aire traitant de la résistance qu’opposèrent des riverains à la démolition de leur quartier dans le cadre du plan d’urbanisme de Séoul et qui se solda par la mort de plusieurs d’entre eux dans un incendie alors qu’ils refusaient d’être expulsés par la police.
Les deux associations ne divergent pas systématiquement par leurs choix, mais, en affirmant sa différence, la BFCA, quoique beaucoup plus modeste par sa taille et son effectif, légitime son existence et reste fidèle à ses principes, alors que la KAFC semble avoir perdu les siens de vue.
Spectateurs applaudissant au spectacle en plein air que proposait en 2017 le Centre du cinéma de Busan dans le cadre de la Busan Food Film Festa. © Centre du cinéma de Busan, Busan Food Film Festa
De nombreuses manifestations
Pour ce qui est du dynamisme du septième art à Busan, on ne saurait omettre d’évoquer les multiples associations et institutions qui y contribuent par leurs activités, notamment l’Association du film indépendant de Busan fondée en 1999 et organisatrice d’un festival consacré au cinéma indépendant dont cette année marquait la 21ème édition, le Prix Buil du film, qui repose sur un engagement d’équité et de transparence dans la sélection des œuvres en lice, et le Festival international du court métrage de Busan.
À ces différentes manifestations, s’ajoute tout un cadre propice à l’essor du secteur, avec, en particulier, une Rue du Cinéma qui, dans le quartier de Haeundae, attire en grand nombre les habitants de la ville, mais aussi des quatre coins du pays et de l’étranger. Dans le quartier dit « Village du Texas », qui se situe face à la gare de chemin de fer, le restaurant chinois Jangseonghyang est réputé pour ses raviolis frits de style coréen tels qu’en mange un personnage du film à succès Old Boy réalisé par Park Chan-wook en 2003, tandis que dans le quartier de Jungdong, une grande animation règne tout au long de l’année sur l’avenue de Daecheong-ro : autant d’aspects de Busan qui expliquent sa réputation amplement méritée de « Ville du cinéma ».
Des étudiants s’initient à la production vidéo à l’Institut du cinéma rattaché au Centre du cinéma de Busan. Dans son cursus annuel, cet établissement propose une cinquantaine de cours différents aux aspirants cinéastes. © Centre du cinéma de Busan
Film à succès réalisé en 2016 par Yeon Sang-ho, Train to Busan a été tourné dans les studios de cinéma de Busan. Placés sous la responsabilité de la Commission du film de Busan, ils comportent deux studios d’intérieur, l’un d’une superficie de 826 m² et l’autre, de 1 653 m². © Next Entertainment World
Nombre d’endroits de la ville ont servi de lieux de tournage, comme le quartier Beomil-dong qui apparaît dans bien des films à succès, tels Friend de Kwak Kyung-taek (2001), Low Life d’Im Kwon-taek (2004) ou Mother de Bong Joon-ho (2009). © Moon Jin-woo
Scène de Nameless Gangster: Rules of the Time, realisé en 2012 par Yoon Jong-bin et en partie sur les chantiers navals qu’exploite Hanjin Heavy Industries & Construction sur l’île de Yeongdo. © Showbox
Le BIFF fête son vingt-quatrième anniversaire
La vingt-quatrième édition du Festival international du film de Busan (BIFF) qui avait lieu cette année s’est avérée très satisfaisante par ses résultats comme par les grandes tendances qui s’en dégagent. D’abord et avant tout, il a encore une fois démontré qu’il se plaçait au premier rang des manifestations d’Asie consacrées au septième art en présentant pas moins de 299 films issus de 85 pays différents, dont 118 en première mondiale sous forme de 95 longs métrages et 23 courts métrages, ainsi que 27 en première internationale qui comportaient 26 longs métrages et un court métrage.
Parmi les différents volets de sa programmation, figurait une remarquable rétrospective qui portait sur le directeur de la photographie Jung Il-sung et étendait ainsi à d’autres professionnels du cinéma l’hommage rendu habituellement par la Corée aux acteurs et metteurs en scène. Il est à parier que d’autres festivals d’envergure internationale s’inspireront de cette originale initiative.
La projection en ouverture du film The horse thieves - Roads of time a également innové dans la mesure où elle mettait ainsi à l’honneur pour la première fois une œuvre originaire d’Asie centrale. Réalisé conjointement par Yerlan Nurmukhambetov, lauréat du Prix New Currents pour Walnut Tree lors de la 20ème édition du BIFF, et par la réalisatrice japonaise Lisa Takeba, cette œuvre s’est illustrée en narrant brillamment un incident d’une tragique banalité évoquée par son titre et en brossant avec authenticité le portrait de personnages d’une grande innocence, l’ensemble étant servi par une mise en scène de western qui rappelle The Searchers (1956) de John Ford ou Unforgiven (1992) de Clint Eastwood et s’avérant particulièrement prometteur pour l’avenir du septième art kazakh.
À l’heure actuelle, un doute plane quant aux perspectives qui s’offrent au BIFF, car, bien que celui-ci se soit haussé au niveau des grands pays producteurs de films, sa fréquentation, deux ans après la restructuration de son comité exécutif, a enregistré une baisse de près de six mille spectateurs par rapport à l’année dernière, où elle s’était élevée à 189 116 spectateurs en dépit du typhon qui avait frappé la ville. Selon toute vraisemblance, un tel recul pourrait s’expliquer par cette ombre au tableau que représente la polémique toujours en cours quant à son indépendance face aux ingérences de l’État.
Lors de son édition de 2014, les organisateurs du BIFF allaient susciter la controverse en décidant de présenter le aire Diving Bell intitulé dans sa version anglaise The truth shall not sink with Sewol, lequel dénonce l’insuffisance des moyens de sauvetage mis en œuvre lors du naufrage du ferry-boat Sewol survenu à peine six mois plus tôt. Cette catastrophe allait provoquer la mort de 304 personnes dont la plupart était des lycéens qui avaient reçu la consigne de rester à leur place au lieu de monter à bord des canots de sauvetage. En désaccord avec la projection de ce film, les pouvoirs publics et la Ville de Busan allaient ordonner qu’il soit déprogrammé, cette décision n’étant pas suivie d’effet. Deux ans plus tard, le maire de Busan allait présenter sa démission de la présidence du BIFF, suite à des allégations selon lesquelles il aurait tenté de faire taire les critiques à l’encontre du gouvernement. Soucieux de défendre la liberté d’ des artistes, tous les organismes liés au cinéma coréen allaient appeler leurs membres au boycott du BIFF, lequel allait de ce fait avoir bien du mal à composer sa programmation.
Aujourd’hui, nul n’est en mesure de savoir si les incidences de ce conflit ne sont que temporaires ou si elles constituent le signe alarmant d’un déclin durable et il importe donc d’en découvrir les causes profondes afin d’y apporter une véritable solution.
Des cinéphiles entourent le cinéaste David Michôd (premier à partir de la droite), l’acteur vedette Timothée Chalamet (deuxième à droite) et toute l’équipe du film The King, qui a tant fait parler de lui à la dernière édition du Festival international du film de Busan. © Festival international du film de Busan