Adaptée du webtoon coréen éponyme, la série télévisée Sweet Home fait son chemin à l’international avec un extraordinaire succès que la critique attribue à l’originalité de son scénario et à l’esthétique de ses images.
Si le webtoon coréen Sweet Home a séduit le lectorat mondial grâce à sa traduction en neuf langues différentes, comme en attestent les 1,2 milliard de vues qu’il a attirées entre les mois d’octobre 2017 et de juillet 2020, sa version audiovisuelle disponible sur Netflix s’annonce encore plus prometteuse.
Après s’être contenté d’assurer la fourniture de vidéos en streaming parmi lesquelles les séries et films occupent une place de choix, le géant du secteur projette aujourd’hui d’intervenir dans leur production par des investissements.
Dans le genre du film d’époque, une série antérieure, Kingdom, avait à ce point conquis le public que l’on fondait beaucoup d’espoirs sur Sweet Home, un divertissement télévisé mettant en scène des monstres. Le film Parasite venait alors de ravir la Palme d’Or au 72e Festival de Cannes, suivie de quatre Oscars, dont celui du meilleur film, et le septième art coréen s’en trouvait ainsi rehaussé au niveau mondial.
Netflix allait engager pas moins de trente milliards de wons dans la production de la série Sweet Home, laquelle s’est avérée rentable dès la diffusion du premier de ses dix épisodes en décembre 2020. Par son recours à l’infographie et la qualité de ses décors, elle n’a pas déçu les attentes des téléspectateurs, dont l’accueil très favorable n’a fait que conforter Netflix dans la confiance qu’il accorde aux créations tirées de webtoons.
Actuellement, Sweet Home arrive en tête des productions bénéficiant d’une diffusion mondiale par Netflix et, dans plus de soixante-dix pays, elle se classe parmi les dix meilleures que propose ce fournisseur sur treize grands marchés, dont ceux de Hongkong, de Singapour, de Taïwan, de la Malaisie et du Pérou, où elle est parvenue à se hisser au premier rang en à peine quatre jours.
Son réalisateur n’est autre que Lee Eung-bok, qui a déjà mis en scène pour Netflix la série télévisée à succès Mister Sunshine diffusée en 2018 en Corée et proposée en streaming au public international. « Jusque-là, je ne m’intéressais pas aux histoires de monstres, mais la lecture de Sweet Home m’a donné envie de m’essayer à des thèmes qui s’écartent de ceux des séries coréennes habituelles afin de toucher un public plus international », confiait-il dans un entretien.
Adaptation du webtoon de monstres Sweet Home, la série éponyme en dix épisodes a remporté un succès inégalé dans de nombreux pays dès sa sortie sur Netflix en décembre 2020.
La maladie du désir
Dans le webtoon d’origine, qui a pour auteur Carnby Kim, alias Kim Kan-bi, et pour dessinateur Hwang Young-chan, l’histoire commence par l’arrivée dans un vieil immeuble de Séoul appelé Green Home du lycéen solitaire Hyun-su, après qu’il a perdu sa famille dans un accident de voiture. Aux côtés de ses autres occupants, il lui incombe de repousser comme il le peut une soudaine invasion d’êtres monstrueux, sans pouvoir compter sur la moindre aide venant de l’ex-térieur.
Si ce scénario semble reprendre tous les ingrédients des films de morts-vivants classiques, il s’en distingue par certains traits audacieux. Ici, point de contagion par des morsures qui transforment séance tenante leurs victimes en zombies, lesquels ne pourchassent d’ailleurs pas les vivants. D’entrée de jeu, on constate l’absence des inévitables virus et maladies qui changent les personnes contaminées en cannibales assoiffés de sang. Dans le cas présent, c’est plutôt le côté sombre du désir humain qui engendre des monstres hideux et crée une peur nouvelle en se démarquant des scénarios apocalyptiques répondant aux conventions du genre. « L’idée que le désir puisse donner naissance à un monstre de manière exogène m’a semblé intéressante à creuser et j’ai voulu la traduire en images », a expliqué Lee Eung-bok.
Le monstre Racine de lotus de la série Sweet Home. La chorégraphe Kim Seol-jin a observé les mouvements de vrais animaux pour régler ceux qu’effectuent les monstres lorsqu’ils attaquent ou chassent.
Prénommé Hyun-su, le personnage principal rompt l’isolement dans lequel il s’est muré pour entraîner les résidents de son immeuble à combattre avec des armes de fortune.
D’ordinaire aussi calme que peu disert, le professeur de coréen Jung Jae-heon, soudain métamorphosé en maître de kendo, brandit son sabre pour se lancer à l’assaut des monstres qui ont envahi les couloirs.
Devant leur téléviseur, les occupants de la résidence Green Home Apartments prennent conscience du peu de chances qu’ils ont de sortir vivants de l’invasion de monstres qui terrorise Séoul.
Au milieu de l’égoïsme général et pour le bien de ses congénères, un seul homme consent un sacrifice dont il sortira grandi.
Des sentiments très coréens
Les survivants pouvant à tout moment se muer en monstres, ils perdent constamment du terrain malgré les lignes de défense qu’ils ont mises en place. Chacun d’entre eux est susceptible de se voir exclure de la communauté au moindre saignement de nez, car c’est le signe avant-coureur de cette métamorphose, et l’ombre d’un doute incite à brandir son arme. Dans ces conditions, le respect des valeurs morales est souvent mis à rude épreuve bien que tous s’efforcent désespérément de conserver une once d’humanité.
Après une tentative de suicide provoquée par la violence qu’il subit de ses camarades, le lycéen Hyun-su parvient à surmonter ses faiblesses pour ralentir la transformation qui s’est amorcée et en tirer la force de protéger son entourage. D’épisode en épisode, il se révèle n’être pas un monstre comme les autres, mais, au milieu de l’égoïsme général et pour le bien de ses congénères, un homme qui consent un sacrifice dont il sortira grandi.
L’intrigue s’enrichit de récits portant sur une dou zaine d’autres personnages importants dont le combat quotidien participe de l’idée de départ de la série telle que le réalisateur a souhaité l’évoquer : « Ce sont les gens qui m’intéressent. Après tout, qu’est-ce qu’un monstre ? Je me suis posé cette question. Comme le dit l’un des personnages : ce que vous voyez n’est qu’une partie d’un tout. Que ce soit des gens, du monde ou de la volonté divine ».
L’idée d’oeuvrer ensemble pour atteindre un if commun s’inscrit dans la thématique centrale de cette série où l’humain est mis en avant, la « solidarité familiale » chère aux feuilletons coréens y figurant aussi pour une large part.
Angoisse et passion
Par ailleurs, Sweet Home ne sous-estime pas les dimensions de plaisir et d’exaltation que peut revêtir le genre du film de morts-vivants. Pour parvenir à réveiller une terreur primitive chez les téléspectateurs, Lee Eung-bok a travaillé toute une année sur les effets spéciaux de sa série avec le concours d’une équipe venue d’Hollywood. Après un premier tournage, il a créé les monstres correspondants à l’aide d’infographies, tandis que leurs mouvements étaient chorégraphiés par Kim Seol-jin. Les revirements et scènes d’action bien amenés qui émaillent l’intrigue portent à leur paroxysme la tension et la ferveur du téléspectateur devant des héros qui doivent trouver refuge dans des espaces particulièrement exigus pour échapper à leurs survivants.
Ceux-ci échappent quant à eux au stéréotype du monstre et peuvent prendre la forme d’un énorme oeil ou d’une araignée, ce qui suppose autant de comportements différents, de sorte que les humains doivent en permanence s’adapter à ces changements générateurs de toujours plus de suspense.
Parmi les plus inquiétants, l’un, d’un aspect visqueux, surgit devant une entrée d’immeuble et étend d’interminables tentacules pour saisir sa proie et s’abreuver de son sang, tandis qu’un autre, dépourvu de mâchoire, se fie exclusivement à son ouïe dans sa chasse à l’homme, un autre encore, gigantesque et doté de muscles disproportionnés, ne cesse de hurler « Protéines ! ». Mais le plus effrayant reste à venir quand, à l’approche du dénouement, une lutte s’engage contre une autre bande d’humains, portant l’émotion à son comble dans le public.
Foncièrement humaine dans son propos, la série, Sweet Home, qui situe son action dans un grand ensemble à l’abandon, se fait tour à tour l’écho de la peur, de l’enthousiasme, du désir et de la solidarité de ses habitants. Nul doute qu’elle marquera un tournant dans la production audiovisuelle coréenne du genre auquel elle appartient