Dans un pays qui vit au quotidien une situation de partition territoriale, il peut sembler logique que des sujets liés à la défense intéressent la population plus qu’ailleurs, comme en témoigne le goût actuel du public pour les émissions de téléréalité qui redoublent d’imagination en mettant à l’épreuve les capacités de survie de vedettes du show-business ou en leur faisant subir un entraînement dans des camps de l’armée.
Dans l’industrie coréenne du divertissement, la vie militaire a toujours fourni un thème d’inspiration porteur, que ce soit à la télévision, dans le cadre d’émissions de variétés, ou, dernièrement sur les réseaux sociaux, sous forme de divertissements de téléréalité où les participants doivent s’entraîner dans des camps. À cela s’ajoutent les films promotionnels que réalise l’armée pour améliorer son image et susciter des vocations.
Sur YouTube, l’émission Fake Men, après avoir remporté un énorme succès l’année dernière en enregistrant pas moins de 50 millions de vues, a dû cesser sa diffusion en pleine saison suite aux accusations de sadisme dont elle faisait l’objet en raison de l’entraînement trop rigoureux auquel devaient s’astreindre ses participants. En outre, les scandales sexuels à répétition auxquels ont été mêlés certains d’entre eux ont entaché sa réputation et suscité des commentaires peu flatteurs sur les réseaux sociaux. Ces critiques allaient lui être fatales et entraîner le non-renouvellement de son contrat de diffusion, ce qui peut légitimement conduire à s’interroger sur l’avenir de telles émissions de survie de type militaire.
Diffusée sur la chaîne de télévision par câble Channel A de mars à juin derniers, cette émission faisait s’affronter des réservistes d’unités des forces spéciales placés face à des situations difficiles.
© Channel A
Une continuité incertaine
Ce déclin du genre allait brièvement s’inverser grâce à l’émission Steel Troops que diffusait la chaîne Channel A et qui faisait appel à des participants provenant de l’armée plutôt que de la société civile tout en reprenant une formule éprouvée.
Proposée trois mois durant à partir du 23 mars dernier, ce divertissement hebdomadaire avait pour principe de confronter des réservistes issus des forces spéciales à des situations exigeant courage et détermination telles que la plongée sous-marine de nuit en vue d’un sauvetage simulé, le déplacement d’un pneu de 250 kg sur 300 mètres en exécutant des centaines de rotations ou une marche de 10 km en montagne en portant une charge de 40 kilos : autant de défis dont s’acquittaient aisément ces participants du fait de leur expérience.
En assistant à une opération antiterroriste ou à la reprise de leur capitale, les téléspectateurs s’enthousiasmaient pour une action riche en poussées d’adrénaline rappelant celle de jeux de FPS (First Person Shooter), c’est-à-dire de tir à la première personne, comme Rainbow Six ou Battlegrounds.
Ces missions n’ayant pas pour if de vaincre, mais d’être menées à bien, les équipes retardataires, tout en se sachant dans l’impossibilité de l’emporter, n’en poursuivaient pas moins leurs efforts jusqu’au bout pour faire honneur à leur division. Bien évidemment, le physique exceptionnel de leurs participants était aussi pour quelque chose dans l’audience record de ces émissions, qui allait atteindre 3,8 % dans la tranche d’âge des 20 à 49 ans, hommes et femmes confondus.
Les militaires de réserve au physique avantageux sont très appréciés des téléspectateurs, à l’instar de Yuk Jun-seo, ce sergent-chef démobilisé qui a participé à des opérations de désamorçage d’explosifs et de neutralisation de munitions de l’UDT/SEAL et a remporté plus de succès que les autres participants, outre qu’il est sorti vainqueur des épreuves finales aux côtés de ses équipiers.
© Channel A
L’évolution d’un genre
Dans les premiers temps, les émissions télévisées d’inspiration militaire possédaient souvent une composante humoristique, notamment Humour n°1, qu’a proposée la chaîne KBS2TV de 1988 à 1991 et dont l’épisode intitulé Stop Moving évoquait la vie d’une caserne de manière satirique. Les Coréens éprouvent des sentiments mitigés au sujet de leur vécu lors du service militaire, lequel demeure obligatoire dans ce pays, car le souvenir d’entraînements harassants et de la mise entre parenthèses de leurs études ou de leur carrière le dispute à une certaine fierté de s’y être prêtés. C’était précisément sur cette dualité que jouait Stop Moving, tout en raillant une discipline par trop rigide.
Quant à Stage of Friendship, qu’a diffusée la chaîne MBC de 1989 à 1997 pour le plus grand plaisir des téléspectateurs, elle effectuait une incursion dans la vie quotidienne d’une caserne où séjournaient des artistes. Sa formule à succès allait donner lieu à de nouvelles moutures dont Youth! Reporting, que les Coréens ont pu découvrir sur la chaîne KBS 1TV de 2003 à 2007. L’armée constituait alors un univers clos où les appelés du contingent demeuraient coupés de l’extérieur pendant toute la durée du service national et dans chaque épisode de ce divertissement, l’émotion était portée à son paroxysme lors de la visite que rendaient les mères à leur fils, un passage bouleversant qui s’intitulait Dear Mother.
Dans sa série Real Men (2013-2016), la chaîne MBC a su surmonter les contraintes imposées par la situation géopolitique particulière de la Corée pour permettre au public de découvrir la vie militaire. La caméra y suivait des vedettes incorporées dans tel ou tel régiment où leur quotidien était révélé selon le principe de la téléréalité. Si cette formule ne laissait guère de place à l’improvisation, elle a néanmoins permis de comprendre que l’armée s’ouvre aujourd’hui davantage au monde extérieur et qu’une discipline moins stricte y règne.
En 2013, l’armée de l’air sud-coréenne allait réaliser le film promotionnel Les Militaribles inspiré de manière parodique du film Les Misérables de 2012 où Russell Crowe incarne l’inspecteur Javert. Grâce à son partage par les abonnés de Twitter, il allait se répandre rapidement à l’échelle mondiale et faire l’objet de commentaires élogieux jusque sur la chaîne BBC News. Encouragée par la réussite de cette initiative, l’armée de terre coréenne allait à son tour produire un film ayant pour titre Gentle Soldier et reprenant l’idée de la chanson Gentleman de PSY, l’interprète du succès planétaire Gangnam Style. Elle entendait ainsi donner l’image d’une institution soucieuse de paraître plus ouverte et accessible.
Dans les troisième et quatrième épisodes de l’émission, où des réservistes devaient simuler une infiltration ennemie par voie maritime, ceux-ci ont dû porter des charges de 250 kg.
© Channel A
Une tendance à la fusion
Fake Men, qui se voulait une parodie de Real Men et avait pour devise « le noble défi que se lancent de faux hommes pour devenir de vrais hommes », a donné le signal de départ d’une nouvelle tendance à la fusion entre différentes émissions de téléréalité axées sur des situations de survie ou d’entraînement militaire.
Alors que les films diffusés sur YouTube émanent le plus souvent d’un unique créateur, Fake Men représentait le fruit d’une collaboration entre plusieurs YouTubers célèbres et certains des instructeurs militaires des forces spéciales qui intervenaient dans Fake Men allaient participer à des émissions de télévision ou de chaînes YouTube dans lesquelles ils se sont fait un nom. D’aucuns ont même vu en eux de nouveaux Bear Grylls, cet ancien militaire de l’armée de terre britannique qui allait présenter plus tard l’émission de survie Man vs. Wild diffusée sur Discovery Channel de 2006 à 2011.
Les participants civils à l’émission Fake Men devaient subir un entraînement exténuant qu’avaient mis au point des spécialistes des unités d’élite de l’armée et que la plate-forme YouTube, tolérante par principe, n’allait nullement censurer, de sorte que certaines scènes difficilement supportables allaient faire polémique et entraîner l’interruption de l’émission.
Hormis Fake Men, d’autres divertissements ont allié des tranches de la vie militaire à des épreuves de survie, tel ce I’m a Survivor produit sur YouTube en 2020, où une ancienne du 707e Bataillon de missions spéciales jouait le rôle d’instructrice aux techniques de survie auprès de vedettes du show-business.
La partition de la péninsule coréenne et les affrontements auxquels elle a donné lieu ont toujours exigé que règne la plus grande rigueur au sein de l’armée sud-coréenne, comme l’atteste le secret qui entoure les méthodes d’entraînement qu’elle pratique, l’accès à l’information y demeurant limité, en règle générale, en dépit de la transition qui s’est opérée de régimes militaires à des gouvernements civils issus d’élections.
Aujourd’hui, l’ancienne génération a cédé la place à la nouvelle, qui apporte peu à peu certains changements dans la vie militaire, le nombre croissant d’émissions de téléréalité à caractère militaire ou de contenus du même type diffusés sur les réseaux sociaux et le succès qu’ils rencontrent dans le public étant révélateurs des évolutions que connaît l’armée elle-même. Longtemps restée dans l’isolement, elle s’ouvre désormais plus volontiers pour révéler certains aspects de son quotidien que les téléspectateurs peuvent découvrir grâce à des émissions de télévision qui leur apportent à la fois délassement et connaissances.
Le deuxième épisode de Steel Troops comportait un combat dans la boue dont les vainqueurs pouvaient choisir les modalités du tournoi qui suivait, d’autres petites missions de ce type permettant aux équipes de disposer de différents avantages avant d’entamer leur mission principale.
© Channel A
Jung Duk-hyunCritique de culture populaire