Confrontée à d’innombrables enjeux tout au long de son histoire, la Corée est un pays bouillonnant d’émotions engendrées par ces différents épisodes qu’évoquent des récits uniques en leur genre pouvant prendre des formes différentes, mais éveillant toujours l’intérêt des publics de tous pays.
Pachinko (2022) ⓒApple TV+ /Minari (2020) ⓒA24 / Native Speaker (1995)
ⓒRiverhead Books
Réalisé en 2019 par Wayne Wang, le film Coming Home Again s’inspire d’un essai autobiographique dû au romancier américain d’origine coréenne Lee Chang-rae que le New Yorker publia voilà vingt-quatre ans.
L’auteur y évoque les derniers jours de sa mère au terme d’une longue maladie, mais aussi les épreuves auxquelles fit face cette immigrée de première génération dans son pays d’accueil. À la maison, l’accès à la cuisine était strictement interdit à son fils, dont elle attendait qu’il se consacre pleinement à ses études afin de se faire une place dans la société et d’être traité avec respect.
On retrouve dans ces aspirations le stéréotype de l’Asiatique travailleur qui vient souvent à l’esprit à propos des immigrés coréens résidant aux États-Unis, ou encore de ce personnage typique de grand-mère qui aime la vie et se dévoue pour ses enfants sans jamais céder au découragement telle que la dépeint le film Minari de Lee Isaac Chung (2020).
Comblant les vœux de sa mère, Lee Chang-rae réussira dans la vie et suscitera l’admiration en obtenant un diplôme de l’Université de Yale, puis en exerçant la profession d’analyste financier à Wall Street. Mais c’est la littérature qui lui apportera une véritable consécration, car le premier roman qu’il signera, Native Speaker, remportera un succès immédiat et six prestigieux prix américains lui seront décernés, dont le Hemingway Foundation/PEN Award et l’American Book Award. Aujourd’hui pressenti comme lauréat du prix Nobel de littérature, il n’en reste pas moins méconnu des cercles littéraires en raison, sans doute, de la très large diffusion dont bénéficie la culture populaire sous ses formes audiovisuelles et de la préférence que lui accorde en conséquence le public par rapport à l’écriture.
Ce phénomène est manifeste dans le succès et l’impact considérables du film Minari de Lee Isaac Chung par opposition au faible retentissement du roman Pachinko
Le film Minari traite des difficultés auxquelles se heurtèrent les immigrés coréens attirés par le fameux « rêve américain », telle cette famille dont le père prénommé Jacob souhaite se lancer dans l’agriculture aux États-Unis, mais a bien du mal à convaincre les siens du bien-fondé de sa décision.
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Devant se résigner à confier ses enfants aux bons soins d’autrui, le couple sollicitera l’aide de grand-mère Sunja, avec laquelle l’espiègle garçonnet David ne s’entendra guère dans les premiers temps.
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Une intrigue des plus typiques
Loin de se limiter à décrire la vie d’immigrés coréens, Minari s’intéresse à ce qui fait l’essence même d’une nation entièrement issue de l’immigration, en l’occurrence les États-Unis. Dans les années 1980, une décennie marquée par des bouleversements économiques et politiques, une famille coréenne part pour les États-Unis où elle espère connaître une vie meilleure. Les parents y font figure de personnes travaillant avec acharnement, mais éprouvant des difficultés à s’adapter à leur nouveau pays, ce qui reflète une vision de l’immigré coréen bien différente de celle, pleine d’humour, qui se dégage de la sitcom canadienne Kim’s Convenience.
Dans l’état rural de l’Arkansas où elle s’établit, cette famille ne subit pas de discrimination raciale et les habitants ne semblent pas s’interroger sur ses origines. À sa manière, le jeune couple qui la compose incarne l’âme et l’identité de cette nation d’immigrés, car, tant qu’ils conservent leurs espoirs et leurs rêves, leurs passions et leur jeunesse d’esprit, le champ des possibles leur reste largement ouvert.
Cette œuvre doit en partie le succès qu’elle a connu en 2021 à celui qu’avait remporté le réalisateur Bong Joon-ho l’année précédente avec son film Parasite. Il y avait fait découvrir la vitalité et la finesse qui caractérisent la fiction coréenne, ce qui lui avait valu d’être récompensé par la Palme d’Or au Festival de Cannes, ainsi que par le prix du meilleur film à la cérémonie des Oscars, chose inédite pour un film étranger. Alors, quand une seconde création coréenne allait faire son entrée dans les salles obscures américaines, le public allait être d’autant plus impatient de le découvrir et en mesure de l’apprécier à sa juste valeur, réalisant ainsi que le succès de Bong Joon-ho ne devait rien au hasard.
Dans un premier temps, le film allait séduire avant tout par les prestations de l’actrice Youn Yuh-jung, puis intéresser à la situation des immigrés coréens, cette curiosité nouvelle atteignant des sommets avec la série à succès Squid Game qu’a diffusée Netflix en 2021. Un an à peine après que le réalisateur Bong Joon-ho avait engagé le public anglophone à surmonter les désagréments minimes du sous-titrage, une émission télévisée exclusivement coréenne par sa production, comme par sa réalisation et ses acteurs, était ainsi parvenue à figurer en bonne place sur le marché mondial des contenus.
Son attrait résidait précisément dans l’ authentique des particularités d’un pays de cinquante millions d’habitants parmi lesquels pas moins de dix millions vivent dans la capitale et dont le dynamisme, ainsi que les forts contrastes, découlent de cette situation. À l’heure où la pandémie de Covid-19 imposait un confinement, les téléspectateurs du monde entier se sont identifiés aux désirs et conflits que faisait naître un jeu dont le vainqueur empochait la somme faramineuse de 45,6 milliards de wons. À cette compétition, s’ajoutaient d’originaux jeux pour enfants qui allaient aussi captiver le public, prouvant ainsi une fois encore à quel point la Corée et sa culture peuvent éveiller l’intérêt lorsque audace et inventivité sont au rendez-vous.
Dans le film Pachinko, qui évoque les rêves et espoirs de quatre générations d’immigrés coréens appartenant à une même famille et animés d’une même volonté de s’intégrer à leur pays d’accueil, le Japon, Hansu et Sunja entretiennent en secret une liaison qui prend fin quand la seconde découvre que le premier a déjà fondé une famille.
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Faite de dur labeur et de sacrifices, la vie de Sunja évoquée par ce film est représentative de celle que connurent les femmes coréennes sous l’occupation coloniale japonaise, des décennies durant.
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Les plateformes de diffusion en continu
À ce propos, il convient de signaler certaines évolutions survenues dans le secteur des plateformes de streaming en conséquence de la croissance exponentielle qu’il a connue au cours de la crise sanitaire, notamment le rôle que la fiction coréenne a indéniablement joué dans l’accroissement des parts de marché de Netflix. Les contenus coréens sont particulièrement recherchés par les plateformes OTT en raison de leur compétitivité qui en fait des modèles à suivre, comme en témoigne l’adaptation au petit écran, sur la chaîne Apple TV+, d’un roman de Lee Min-jin intitulé Pachinko.
S’agissant de ce dernier, il convient de souligner que le récit ne porte pas sur les souvenirs autobiographiques d’une autrice descendant d’immigrés à la deuxième génération, mais consiste avant tout en une fiction historique située en ce début du XXe siècle où la Corée était une colonie japonaise.
Tout comme Squid Game ou Hellbound (2021), les films de Park Chan-wook primés au Festival de Cannes se déroulent à notre époque, contrairement à Pachinko, dont l’intrigue se situe dans la Corée et le Japon des années 1910 à 1980, notamment pendant cette période coloniale qui constitue aujourd’hui encore un dossier des plus épineux pour les deux pays.
Classé parmi les livres de l’été par l’ancien président américain Barack Obama, Pachinko ne se réduit pas à une brève évocation de l’histoire des zainichi, ces Coréens qui émigrèrent au Japon au XXe siècle, car il s’attache à rechercher l’origine même des souffrances inhérentes à la vie de toute diaspora, mais aussi à révéler que l’amour peut y naître et s’y épanouir envers et contre tout, comme le montrent également ses adaptations à des séries télévisées. Le pays de Pachinko n’est pas seulement le lieu des origines, mais aussi celui où se perpétue le cycle de la vie par la mise au monde d’une nouvelle génération.
Si les immigrés coréens deviennent des citoyens à part entière de leur pays d’accueil, ils demeurent aussi à jamais ceux du pays qu’ils ont quitté de par les attaches émotionnelles, historiques et familiales qu’ils conservent avec lui. C’est ce dont témoignent des écrivains, réalisateurs et producteurs coréens eux-mêmes expatriés en évoquant leurs conflits intérieurs, les difficultés de leur adaptation linguistique et leur vision du monde bien particulière.
Ces récits coréens tirent ainsi leur attractivité de la dimension universelle des vies et désirs humains qu’ils décrivent.
↓Tombé malade en partant pour le Japon, le pasteur Isak, un natif de Pyeongyang, se voit prodiguer des soins par sa mère et Sunja, laquelle l’épousera et vivra avec lui au Japon après avoir quitté Hansu.
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Kang Yu-jung Critique de cinéma et professeur