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2024 SUMMER

Une ville où passé et présent sont à l’unisson

A qui souhaiterait savoir quelle ville perpétue le plus authentiquement les traditions de leur pays, les Coréens citeraient le plus souvent Jeonju, qui, avec ses maisons d’autrefois, allie harmonieusement un héritage conservé avec soin et la modernité de sa vie culturelle.

ⓒ shutterstock

C’est à Jeonju que se trouve le plus important village de hanok de Corée, puisque celui-ci s’étend sur pas moins de trente hectares et rassemble plus de sept cents de ces habitations traditionnelles. Ses visiteurs partiront de préférence du pavillon d’Omokdae, car, du haut de la haute colline où il s’élève, on dispose d’un panorama de l’ensemble du hameau. À la vue des innombrables toits de tuiles qui le composent, on croirait voir autant de vagues bleues s’apprêtant à déferler.

Aux origines du royaume de Joseon

Le pavillon d’Omokdae revêt aussi une certaine importance historique. Dans les derniers temps de la période de Goryeo, le général Yi Seong-gye, celui-là même qui allait fonder le royaume de Joseon et prendre le nom de Taejo (r. 1392-1398), remporta en septembre 1380 une victoire décisive, bien qu’en infériorité numérique, sur les waegu, ces pirates japonais qui envahissaient et pillaient régulièrement la péninsule coréenne. Après un tel exploit, qui lui valait d’emblée un retour triomphal à Séoul, il décida pourtant d’effectuer une halte à Jeonju pour célébrer ses faits d’armes dans la ville qui avait vu naître son clan. Au cours de ces festivités, il aurait récité un poème dont le titre Chant du grand vent est gravé sur une plaque apposée sur un mur du pavillon d’Omokdae.

Un vent puissant disperse les nuages.
Je suis revenu glorieux d’une victoire triomphale.
Où trouver des guerriers pour défendre notre pays ?

Le choix de ces vers fit alors spéculer qu’il aurait saisi l’occasion qui lui était donnée d’exprimer à mots couverts son ambition de renverser la vieille dynastie pour en instaurer une autre, un projet qu’il mettra à exécution près d’une décennie plus tard. D’aucuns voient ainsi dans la récitation qu’il fit à Omokdae les prémices de la création du futur État riche de 472 ans d’histoire.

Tout comme le village de hanok de Bukchon situé à Séoul, celui de Jeonju revêt une grande importance en permettant de conserver des spécimens de l’habitat coréen traditionnel. Au pavillon d’Omokdae, à la vue des toits de tuiles qui se succèdent sans interruption, on croirait voir autant de vagues déferlant sur le paysage.

Les liens qui unissent Jeonju au royaume de Joseon ne se limitent pas aux faits survenus à Omokdae. Au sud du village de hanok, s’élève le sanctuaire de Gyeonggijeon, dont le nom signifiant « lieu propice » se rapporte à sa dimension sacrée. Le fils de Yi Seong-gye, Yi Bang-won, qui lui succéda sur le trône sous le nom de Taejong (r. 1400-1418), fit bâtir cet édifice pour y placer le portrait de son père, une pratique également mise en œuvre dans des villes telles que Pyongyang, Kaesong, Yonghung ou Gyeongju.

Dans l’enceinte du sanctuaire de Gyeonggijeon, qui fut édifié dans les premiers temps du royaume de Joseon, des visiteurs arborent le costume traditionnel coréen. Le vocable « gyeonggi » que comporte son nom signifie « lieu propice ».

Composé de trois parties distinctes, le sanctuaire comporte, dans sa première partie, la salle, dite Jeongjeon, qui abrite une reproduction du tableau mentionné plus haut, dont l’original se trouve dans le Musée royal des portraits situé juste derrière elle. En deuxième lieu, le visiteur découvrira, plus au nord, le sanctuaire ancestral de Jogyeongmyo qui renferme les tablettes votives consacrées à Yi Han et à son épouse, le premier étant le fondateur du clan des Yi de Jeonju et l’ascendant de Taejo à la vingt-deuxième génération. Entre ces deux premières salles, une troisième abrite des archives historiques, dites Annales du royaume de Joseon, qui consistent en une chronique de la vie quotidienne du royaume depuis sa fondation. Elles constituent, en leur genre consacré à une dynastie, le plus important recueil de documents au monde et ses volumes d’origine sont demeurés intacts. En Corée, les Annales du royaume de Joseon sont classées trésor, tandis que l’UNESCO les a inscrites à son registre « Mémoire du monde ».

Devant l’entrée du sanctuaire de Gyeonggijeon, se dresse une stèle qui rappelait à tout un chacun, quel que fût son rang, l’obligation qui lui était faite de descendre de sa monture une fois parvenu à cet endroit. À ses côtés, deux statues en pierre de haechi, ces créatures mythologiques ressemblant à des lions, présentent un aspect plus joyeux qu’inquiétant, contrairement à nombre de sculptures d’époque Joseon. Le jardin sur lequel donne la salle de Jeongjeon comporte également six grands chaudrons en fonte que l’on remplissait d’eau en vue d’éventuels incendies ou de l’apparition des démons du feu, lesquels, à la vue de leur image se reflétant dans l’eau, prendraient peur et s’enfuiraient. La présence de cette note de fantaisie dans un cadre aussi solennel est très révélatrice de l’état d’esprit des Coréens de Joseon.

À l’entrée du sanctuaire de Gyeonggijeon, s’élève une stèle à l’endroit où tout visiteur se devait de descendre de cheval avant d’entrer, et ce, quel que fût son rang social.

Outre le pavillon d’Omokdae et le sanctuaire de Gyeonggijeon, ainsi que le village de hanok, Jeonju conserve d’autres traces de son histoire, de ses traditions et de ses heures de gloire. On se rendra notamment au Jeolla Gamyeong, cet ancien bureau du gouverneur provincial qui, au temps de Joseon, dirigeait les provinces actuelles du Jeolla du Nord et du Sud, de même que l’île de Jeju. La porte sud de la ville, dite Pungnammun, mérite également que l’on s’y intéresse en tant qu’unique vestige restant sur pied de l’ancienne forteresse qui entourait Jeonju.

Les traces d’échanges

Célèbre pour ses liens historiques avec le royaume de Joseon et pour la conservation de ses traditions ancestrales, Jeonju ne se résume pas à ses vestiges anciens, loin s’en faut, car elle représente aussi un creuset de cultures qui a façonné son identité actuelle à travers une longue histoire de rencontres et d’échanges avec d’autres nations.

Emblème de cet héritage éclectique, la cathédrale de Jeondong, de style romano-byzantin, s’élève depuis 1914 face au sanctuaire de Gyeonggijeon, à l’emplacement du lieu du martyre des premiers catholiques coréens. À cet égard, il convient de souligner que son édification ne fut pas l’œuvre des seuls architectes coréens, puisque, selon l’ouvrage intitulé Histoire centenaire de la cathédrale de Jeondong, plus de cent ouvriers chinois, dont cinq charpentiers et une centaine de tailleurs de pierre, y participèrent. À cet effet, ils construisirent un four qui produisit les 650 000 briques de l’édifice. L’architecte en chef du chantier, qui avait pour nom Gang Ui-gwan et dirigeait le cabinet Ssangheungho, a imprimé sa marque dans la réalisation de nombreux lieux de culte catholiques.

Édifée en 1914 dans le style romano-byzantin, la cathédrale de Jeondong est au nombre des plus grandes églises catholiques que compte l’Asie.

L’arrivée de travailleurs immigrés chinois à Jeonju remontait à 1899, l’année de l’ouverture aux échanges du port de Gunsan situé à une cinquantaine de kilomètres. Attirés par les débouchés économiques qu’offrait la ville, de nombreux marchands et ouvriers chinois s’établirent à Jeonju, une ville qui présentait alors une grande avance dans les domaines commercial, culturel et administratif. Au fil du temps, les ressortissants chinois toujours plus nombreux allaient constituer une communauté prospère principalement établie dans l’actuel quartier de Daga-dong. Si certains exerçaient leurs activités dans les secteurs du transport maritime ou de l’agriculture, 60% d’entre eux se consacraient aux métiers de la restauration ou au commerce d’étoffes comme la soie ou le satin.

Par sa présence importante dans une ville pourtant riche de ses traditions, cette population y exerça une influence particulière, notamment dans la gastronomie dont les spécialités, en s’adaptant aux ingrédients de la production locale, s’implantèrent avec succès chez les Coréens. Tel fut le cas des fameuses jjajangmyeon, ces nouilles nappées d’une sauce noire aux haricots, qui représentaient une fusion des cuisines des deux pays. À Jeonju, les cuisiniers chinois firent œuvre d’innovation en élaborant la recette des mul-jjajangmyeon, dans la composition de laquelle entrait la sauce de soja pour répondre aux goûts de mangeurs coréens pouvant trouver trop grasse la sauce aux haricots noirs. Cette variante faisait en outre usage d’amidon pour épaissir la sauce qui venait recouvrir les fruits de mer bouillis et les nouilles à la farine de blé dur. Il en résultait une préparation apportant à la traditionnelle soupe aux nouilles et aux fruits de mer la touche d’originalité conférée par l’adaptation d’une recette chinoise.

Très appréciées dès leur apparition, les mul-jjajangmyeon allaient aussi se décliner dans des versions épicées convenant mieux aux goûts des Coréens. Dans la ville de Jeonju, deux établissements sont particulièrement réputés pour la réalisation de l’authentique recette de cette préparation, à savoir le Jinmi Banjeom tenu par le Coréen d’origine chinoise Ryu Yeong-baek, lequel dirige également une école primaire chinoise locale, et le Daebojang, un restaurant familial ouvert en 1962.

Loin d’être circonscrite à Jeonju, cette influence culinaire s’étend à toute la Corée, notamment par le commerce des vermicelles de patate douce, qui viennent directement de Chine et dont font usage bien des plats coréens traditionnels, comme le bulgogi, les japchae, le galbitang et même le sundae, qui sont respectivement une grillade de bœuf, des nouilles sautées aux légumes, une soupe de côtes courtes et du boudin coréen. La facilité avec laquelle les traditions culinaires de Jeonju ont su assimiler différentes influences participe de la riche alliance d’apports culturels qui ont façonné l’originale identité de cette ville.

L’innovation du bibimbap

Spécialité emblématique de la ville, le bibimbap de Jeonju se caractérise par la richesse de ses saveurs et, les cuisiniers du cru n’ayant eu de cesse d’en diversifier la recette, cette préparation remporte toujours autant de succès.

De spécialité régionale qu’il était à l’origine, le bibimbap de Jeonju est passé à la dimension d’emblème de la cuisine coréenne traditionnelle et a donné lieu à plus de trente recettes différentes variant en fonction des ingrédients de saison.

Le restaurant Han Kook Jib, qui a ouvert ses portes en 1951, est le plus ancien de ceux que compte la ville pour cette spécialité. Sous son nom d’origine de Hankook Tteokjip, il se consacra d’abord à la vente de gâteaux de riz et de jeonggwa, cette confiserie traditionnelle coréenne. Par la suite, allaient s’y ajouter la soupe à la pâte de riz appelée tteokguk et traditionnellement consommée en hiver, puis le baengbaengdori, une version régionale du bibimbap grâce à laquelle cet établissement put se diversifier et attirer des clients toute l’année.

Cette préparation, dont le nom est celui donné au bibimbap de Jeonju, se caractérise par la manière particulière dont riz et autres ingrédients sont mélangés à l’aide d’une cuillère ou d’une spatule à riz avec un mouvement circulaire. Cette opération était à l’origine réalisée dans un très grand récipient avant de servir des portions individuelles dans les petits bols des clients. Cho Byung-hee, un éminent historien de Jeonju, s’est penché sur les raisons de cette pratique dans un essai de 1988 intitulé Le marché de Nambak dans les années 1920, où il évoque en ces termes une scène animée se déroulant dans un restaurant : « Lorsque vous y irez, vous verrez un homme robuste tenant d’une main un grand bol en laiton et mélangeant prestement le bibimbap de l’autre à l’aide de deux cuillères. Il lui arrive de fredonner quelque air sans cesser de faire tourner le bol en l’air, puis en le rattrapant habilement. On ne peut assister à ce spectacle qu’au marché de Nambakjang. »

Le marché de Nambakjang, qui s’appelait anciennement Nammunbak Sijang et se situait derrière la porte sud de la ville, est aujourd’hui connu sous le nom de marché de Jeonju Nambu. Quoique animé le jour, c’est la nuit que celui-ci attire le plus les touristes. Tous les restaurants qui s’y trouvent ont pour spécialité le baengbaengdori, y compris le Han Kook Jib, qui a élaboré une version gastronomique de ce plat. Elle se compose d’ingrédients tels que les germes de soja, les pousses de fougère, les courgettes, les champignons shiitake, divers légumes verts de saison, l’aster et les morilles blanches, le tout agrémenté d’un délicieux tartare de bœuf. Un tel esprit d’innovation allait inciter nombre d’autres restaurateurs de la ville à proposer différentes recettes de leur création.

Les principaux établissements concernés comprennent le Ha Suk-yeong Gamasot Bibimbap, autrefois appelé Jungang Hoegwan, où le bibimbap est servi dans une marmite en pierre chaude et auquel viennent s’ajouter noix de ginkgo, châtaignes et jujubes. Un autre, connu sous le nom de Seongmidang, se distingue par le riz sauté dont il agrémente sa préparation. Depuis les années 1960, la fameuse Ruelle du bibimbap située non loin du marché de Nambu est, en matière culinaire, le lieu de prédilection des habitants comme des touristes. En 2007, une fête du bibimbap de Jeonju allait y être créée et ses éditions se déroulent chaque année à l’automne.

Au mois de mai dernier, avait lieu la 25e édition du Festival international du film de Jeonju en différents endroits de cette ville, dont une rue, dite Film Street, qui se situe à une quinzaine de minutes à pied du village de hanok de Jeonju. Cette manifestation a permis de découvrir pas moins de 232 films provenant de 43 pays différents.

De perpétuelles découvertes

Représentative de l’héritage historique de la Corée comme de la dynamique qui l’anime aujourd’hui depuis la fondation du royaume de Joseon, la ville de Jeonju est riche des échanges culturels auxquels elle s’adonne avec d’autres nations. Par une harmonieuse alliance d’esprit d’innovation et de respect des traditions, elle a su démontrer la coexistence possible d’un passé et d’un présent qui lui sont tout aussi précieux.

Ville où s’écoule paisiblement la vie, Jeonju réalise également un équilibre entre nature et culture, comme en témoigne le titre de « Slow City » qui lui a été décerné en 2010 par Cittaslow International. Deux ans plus tard, son action en faveur du maintien de la culture alimentaire traditionnelle lui a aussi valu d’être élue Ville créative de gastronomie par l’UNESCO. Pour les amateurs de découvertes, elle constitue une destination idéale par la manière dont elle s’attache à proposer une nouvelle lecture de l’histoire et des traditions dans une approche inclusive plutôt qu’en se cantonnant dans la réitération du passé.

Kwon Ki-bong Écrivain
Lee Min-hee Photographe

 

 

 

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