En Corée, les créateurs de personnages graphiques partent aujourd’hui à la conquête du marché mondial sur les plates-formes en ligne, entre autres supports qui leur permettent d’accéder à un public plus vaste, car de toute nationalité et de tout âge, alors qu’ils ciblaient surtout jusqu’ici celui des enfants et adolescents.
En mai 2022, quelle n’a pas été la surprise des passants en découvrant l’imposante reproduction de 15 mètres de hauteur de la mascotte Bellygom qui s’élevait devant les Time Villas, non loin d’une succursale du grand magasin Lotte Premium Outlet située dans la province de Gyeonggi ! Créée en 2018 par l’entreprise Lotte Home Shopping à des fins publicitaires, l’image du personnage Bellygom est, de l’avis général, l’une des plus réussies en son genre.
ⓒ Bellygom
Jusque dans les années 1980, dans l’esprit du public coréen, les images de personnages étaient celles que l’on voit dans les bandes dessinées ou les films d’animation, mais l’apparition de l’ordinateur personnel, du smartphone et de l’Internet allait considérablement accroître leur présence et leur mode de diffusion. Lorsqu’il a pris son essor, le secteur des contenus créatifs a favorisé cette évolution en offrant de nouvelles possibilités d’accès et en s’adressant à une plus large audience. Désormais, la création de ces personnages graphiques s’adresse aux jeunes et moins jeunes.
Accessoires omniprésents de la messagerie mobile, les émojis et autres pictogrammes font partie du quotidien de la plupart des usagers de ce service, mais se sont aussi répandus sur leurs équipements, vêtements et produits ménagers, les campagnes d’information y faisant également appel, ainsi, bien évidemment, que le cinéma et la télévision.
Une réussite phénoménale
Une forte expansion de ce nouveau marché s’est amorcée entre la fin des années 1980 et le début des années 1990, en parallèle avec celle de la papeterie fantaisie. Cette tendance est illustrée par le succès étonnant de Dooly le petit dinosaur, ce personnage d’un manhwa, c’est-à-dire une bande dessinée coréenne, due à Kim Soo-jung. Publiée sous forme de feuilleton de 1983 à 1993 par le magazine de bandes dessinées Bomulseom, cette création allait séduire les lecteurs par l’originalité de ses personnages et de charmants dialogues. Dès la fin de la première moitié des années 1990, ces personnages graphiques allaient faire l’objet d’une exploitation commerciale par le biais de différents biens de consommation allant des jouets et articles papetiers à l’habillement, en passant par les gadgets électroniques, voire par certains revêtements de sol décoratifs destinés aux chambres d’enfants.
L’entrée dans le troisième millénaire a vu l’Internet à haut débit s’étendre à toute la Corée, avec pour conséquence l’explosion du film d’animation en ligne et l’apparition d’innombrables personnages. Sur ce marché jusqu’alors dominé par des figures provenant de l’étranger, deux créations coréennes allaient accomplir une percée remarquable au plan intérieur comme à l’international. Celle de MashiMaro, le lapin espiègle de L’histoire de la forêt de Mashimaro due à Kim Jae-in, a connu un succès fulgurant qui lui a ouvert les portes des marchés américain et japonais, tandis que Pucca, la dynamique livreuse de nouilles aux pouvoirs surhumains imaginée par VOOZCLUB poursuivait brillamment son chemin en Europe.
Plus tard, l’avènement du smartphone permettra à ce secteur créatif d’effectuer de nouvelles avancées et, en 2012, le réseau de messagerie mobile KakaoTalk, très apprécié des Coréens, proposera une liste d’émojis appelés Kakao Friends. Ces personnages inventés par Kwon Soon-ho sous le pseudonyme de Hozo ne tarderont pas à séduire les utilisateurs. Parmi eux, se trouvaient Muzi, ce petit bout de radis espiègle qui se déguise en lapin, ou Tube, un surprenant canard blanc qui, comme Hulk, peut devenir vert, puissant et redoutable et crache du feu. L’accueil enthousiaste que leur a fait le public est attesté par la première place qu’ils occupaient en 2017 dans un sondage réalisé par l’Agence coréenne des contenus créatifs (KOCCA) au sujet des personnages graphiques préférés des Coréens. Conçus à l’origine pour agrémenter les messages échangés sur KakaoTalk, comme un moyen facile d’ des émotions, les Kakao Friends ont représenté un tournant dans la création de figures fictives coréennes, le succès de ses sept personnages témoignant de la place toujours plus grande des technologies mobiles dans la culture populaire et les communications numériques.
L’apparition des « fandoms »
La production de tels personnages est actuellement en forte progression et concerne toujours plus d’entreprises, de là l’impact croissant qu’elle exerce sur les pratiques de consommation. Lors d’un événement éphémère qui a eu lieu en janvier dernier, l’un des magasins de la chaîne GS25 a connu une affluence record de clients venus voir le fameux MOOMOOSSI, un renard tibétain humanisé créé en 2022 par GS Retail. Son succès est tel que les ventes de produits dérivés de la marque ont dépassé plus d’un million d’unités et qu’en vue d’être plus en lien avec les consommateurs, ce personnage dispose même d’un compte Instagram déjà fort de plus de 20 000 followers.
Quant à l’ours en peluche rose Bellygom imaginé par Lotte Home Shopping en 2018, il s’avère jouer un grand rôle dans l’attractivité de la marque et a donné lieu à la création d’un club de fidèles admirateurs. Ce personnage s’est fait connaître sur une chaîne YouTube qui a rapidement attiré un grand nombre d’abonnés, puis sur le réseau social TikTok. Sa popularité et son influence allaient être consacrées par la remise du Prix de la présidence, dans la catégorie du « Meilleur personnage », aux Korea Content Awards qu’organisait la KOCCA en 2022 et cette réussite internationale incite Lotte Home Shopping à le faire découvrir dans toujours plus de pays.
Le recours à des figures fictives propices à la bonne image des entreprises a donné des idées dans le secteur public. Depuis environ 1995, on voit des collectivités locales y faire appel à des fins de promotion, à l’instar de la Ville de Goyang, qui a créé en 2011 son Goyang Goyangi, ce « chat de Goyang » dont le succès prouve amplement l’usage avantageux qui peut être fait de ces personnages au sein des territoires.
Depuis 2016, la mascotte de la ville de Yongin, un dragon vert à cornes appelé JOAYONG, suscite un engouement continu dans le public par sa présence sur différents médias et sa participation à certaines actions qui la mettent à l’honneur. Un partenariat entre la municipalité et le parc d’attractions d’Everland, le premier de Corée, a abouti à la commercialisation d’un produit dérivé dont plus de 4 000 exemplaires ont été vendus à peine deux semaines après son lancement, prouvant ainsi que la réussite commerciale est aussi à la portée du secteur public dans ce domaine.
Imaginé par GS Retail en 2022, le personnage de MOOMOOSSI n’a pas tardé à faire sensation et à attirer sur Instagram plus de 20 000 amateurs d’une gamme de plus de cinquante produits différents où il figure.
ⓒ GS Retail
L’accueil réservé aux personnages secondaires
Les personnages secondaires ont également leur place sur le marché, comme l’a démontré celui du petit pingouin Pororo, héros d’une célèbre série d’animation pour enfants qui a fait parler à son sujet de « président des enfants ». En outre, les produits dérivés auxquels il a donné lieu ont été écoulés en un rien de temps, rivalisant même avec ceux de la concurrence étrangère et attestant ainsi une avancée certaine de la Corée dans ce secteur.
Par la suite, Loopy le castor, amie de Pororo, a gagné en popularité, d’abord en tant que phénomène de mème sur Internet en 2019, puis sous forme d’émojis sur KakaoTalk en 2020. Si Pororo captivait surtout les tout-petits, la version mème de Loopy, renommée Zanmang Loopy, a conquis les jeunes adultes d’une vingtaine et d’une trentaine d’années.
Zanmang Loopy le castor est une nouvelle version de celui de la série animée pour enfantsPororo le Petit Pingouin, que les eaux minérales Jeju Samdasoo avaient pris pour symbole en 2023 afin de promouvoir des comportements éco-responsables.
ⓒ I/O/E/SKB
L’essor des plates-formes
Par-delà la simple mise sur le marché de produits dérivés, le développement du secteur de la création de personnages a pour corollaire l’apparition de communautés de fans très actifs, voire d’influenceurs, ce qui peut s’expliquer par l’évolution des publics concernés. Les enfants d’hier, bercés par les dessins animés et les jeux vidéo, composent aujourd’hui le noyau dur de la clientèle adulte qui affectionne ces produits. Ce fait démontre ainsi que des personnages autrefois créés pour les très jeunes peuvent désormais être aussi appréciés de personnes plus âgées. Par ailleurs, la plus grande ouverture d’esprit qui caractérise les nouvelles générations, les domaines plus variés qui les intéressent et la priorité qu’elles accordent à leurs goûts personnels constituent autant de facteurs propices à la diffusion de ces personnages et à leur intégration au mode de vie.
Cette tendance s’est d’autant plus accentuée que ces personnages ont bénéficié d’un positionnement judicieux dans les médias. Alors qu’ils étaient surtout destinés au petit écran et aux salles obscures, depuis quelques années, les personnages graphiques se font toujours plus présents sur les plates-formes en ligne, y compris sur de grands réseaux sociaux tels que YouTube ou TikTok.
Cette diffusion plus large a favorisé une créativité sans précédent qui s’est traduite par l’apparition de nouveaux personnages plus adaptés aux goûts des jeunes générations. Tandis qu’ils ont été un temps perçus comme des outils de promotion commerciale, ils semblent désormais destinés à faire découvrir de nouveaux modes de consommation plus variés et plus enrichissants.
Selon les données dont dispose la KOCCA à propos de ce secteur, le montant des redevances liées aux droits de propriété intellectuelle coréens, en progrès constant, pourrait atteindre 16,2 billions de wons d’ici à 2025, soit 12,2 milliards de dollars. Les centres de cette industrie, jusqu’ici situés au Japon et aux États-Unis, tendent aujourd’hui à se déplacer vers la Corée, ce qui laisse entrevoir un avenir prometteur pour elle dans ce domaine.
À Séoul, la boutique éphémère Gallery Molang située dans le quartier de Yeonnam-dong a mis à l’honneur le personnage de Molang qu’a imaginé en 2010 l’illustratrice Yoon Hye-ji. L’engouement qu’il a aussitôt suscité est monté d’un cran en 2015, quand le studio d’animation français Millimages s’en est emparé pour réaliser une série télévisée. Son succès grandissant allait donner lieu à d’autres utilisations par différentes marques.
ⓒ Hayanori