Dans
I, The Executioner, qui fait suite à son film à gros budget
Veteran sorti en 2015, Ryoo Seung-wan, s’interroge sur la frontière où se situent le bien et le mal s ’agissant de quelqu’un qui décide de se faire justice lui-même et il s’exprimait à ce propos dans un entretien réalisé à l’occasion du Festival de Cannes.
Le célèbre cinéaste Ryoo Seung-wan. Il dépeint la société et l’âme humaine en révélant leur part d’ombre. Sous son regard acéré, la réalité prend la forme d’œuvres qui interpellent tous les publics par l’originalité de leur style alliant scènes d’action mouvementées, récits intimistes et un subtil compromis entre divertissement et critique sociale.
Avec l’aimable autorisation de CJ ENM
Voilà plus de vingt ans que Ryoo Seung-wan a rejoint les rangs des grandes figures du cinéma sud-coréen en réalisant des films d’action révélant sa capacité à analyser certaines questions sociales avec pertinence, comme dans son film Smugglers, qui a remporté l’année dernière un grand succès au box-office. Cette œuvre suivait un groupe de haenyeo, ces plongeuses qui ramassent des fruits de mer, et leurs péripéties quotidiennes dans un paisible village côtier où l’ouverture d’une usine chimique fait peser des menaces sur leurs moyens de subsistance.
Cette année, le cinéaste remet en scène les personnages de policiers du film Veteran dans son nouvel opus I, the Executioner, qui a pour sous-titre Veteran 2 et conte la traque d’un présumé tueur en série. Sortie en salle peu avant les congés de la fête de Chuseok, l’œuvre allait enregistrer plus de six millions d’entrées en à peine quinze jours.
Arrivé au cinquième rang des films sud-coréens les plus rentables avec ses 90 millions de dollars de recettes enregistrés au box-office, Veteran allait aussi connaître un succès international, puisqu’il a inspiré en 2019 un remake indien dont le premier rôle est interprété par la grande vedette Salman Khan. En outre, le réalisateur américain Michael Mann travaille actuellement sur une nouvelle version dont le tournage devrait débuter dans la foulée du très attendu Heat 2. Tandis que cette œuvre avait été projetée pour la première fois à l’étranger en 2015, au Festival international du film de Toronto (TIFF), celle qui lui fait suite l’a été au Festival de Cannes, dans le cadre de la prestigieuse section Midnight du Grand Théâtre Lumière.
Dans sa sélection officielle, cette importante manifestation a souvent réservé une large place au cinéma sud-coréen en y faisant figurer des œuvres marquantes telles que The Good, the Bad, the Weird, de Kim Jee-woon, Emergency Declaration, de Han Jae-rim, The Yellow Sea, de Na Hong-jin, The Handmaid’s Tale, de Park Chan-wook, ou The Spy Gone North, de Yoon Jong-bin, sans oublier le célèbre Parasite de Bong Joon-ho que la Palme d’or a couronné en 2019.
Pour sa part, Ryoo Seung-wan allait y faire ses premiers pas en 2005, au sein de la Quinzaine des réalisateurs, avec un film dramatique traitant de la boxe, Crying Fist, dont il avait confié le rôle vedette à son jeune frère désormais célèbre Ryoo Seung-bum. Ce dernier y évoluait aux côtés de Choi Min-sik, lui-même déjà ovationné à l’international pour sa prestation dans Old Boy, de Park Chan-wook, lauréat du Grand Prix du Festival de Cannes en 2004.
Dans Crying Fist (2005), un film des débuts, Ryoo Seung-wan évoque l’itinéraire de vie d’un ancien champion de boxe, médaillé d’argent aux Jeux asiatiques, qui aspire à un changement de vie. Loin de chercher à surprendre par des effets spectaculaires ou une action tumultueuse, cette œuvre se penche plutôt sur le combat intérieur et la puissance des émotions qui habitent ses personnages.
Avec l’aimable autorisation de Yong Film
Dans le film Veteran, Hwang Jung-min incarnait le personnage d’un policier irrévérencieux, mais implacable dans sa volonté de démasquer un magnat de la troisième génération, homme corrompu et sadique dont l’interprétation mémorable était due à Yoo Ah-in. Ce film alliant humour, action spectaculaire et critique sociale acerbe de la corruption et des inégalités qui sévissent dans le pays allait faire forte impression sur le public. Aujourd’hui, sa suite réunit autour de Hwang Jung-min une distribution originale et dynamique composée de Oh Dal-su et de Jang Yoon-ju, auxquels s’est joint Jung Hae-in dans le rôle d’une nouvelle recrue de la brigade criminelle. Tandis qu’une rumeur nommant le tueur en série présumé devient virale sur les réseaux sociaux et plonge le pays dans le chaos, le policier et son équipe sont remis en question dans leurs méthodes et hypothèses de travail aux fins de cette nouvelle enquête haletante.
Scène du dernier film de Ryoo Seung-wan I, The Executioner également intitulé Veteran 2. Sorti sur les écrans états-uniens en septembre 2024, ce grand succès du box-office a été vu par plus de 7,5 millions de personnes.
Avec l’aimable autorisation de CJ ENM
Comment avez-vous vécu votre dernière participation au Festival de Cannes par comparaison à celle de 2005, qui était la première ?
Elles diffèrent surtout par le fait qu’il y a dix-neuf ans, j’y portais le regard extérieur d’un simple observateur et lointain admirateur du Grand Théâtre Lumière. J’étais plus jeune et tout me paraissait nouveau, plein de fraîcheur, de drôlerie ou de suspense. Je me souviens de m’être dit : « Un jour, j’aimerais faire un film et qu’il soit projeté dans cette salle ». Cette année, c’est moi qui présentais mon film sur la scène, en train de présenter mon film. Le second changement concerne l’attrait qu’exerce désormais le cinéma coréen. Voilà dix-neuf ans de cela, ses productions ne bénéficiaient pas de la même audience. Elles ne faisaient pas salle comble et ne donnaient pas lieu à beaucoup d’interviews.
Comment s’explique votre prédilection pour le genre du film d’action ?
Ma passion du cinéma est née dès mon plus jeune âge, bien avant que j’aille à l’école. Dans ma ville, Asan, qui, bien que modeste, possède une riche vie culturelle, des films de toutes sortes étaient à l’affiche, des blockbusters hollywoodiens aux productions asiatiques notamment en provenance de Hongkong. J’aimais surtout celles qui portaient sur les arts martiaux et admirais leurs acteurs extraordinaires. Ces héros de films d’action ont profondément marqué mon imaginaire et m’ont fait découvrir dans le septième art la possibilité de mettre en valeur le mouvement et la gestuelle. Au fil du temps, ma conception du film d’action a évolué, car, à mes yeux, il va bien au-delà de la simple représentation des mouvements du corps et d’un langage corporel. Il englobe un travail sur les personnages, leur psychologie, le développement d’une intrigue et l’évolution des réactions émotionnelles ou des pensées du public tout au long du récit.
Cinquième long métrage de Ryoo Seung-wan, The City of Violence (2006), est interprété par le réalisateur lui-même aux côtés de Jung Doo-hong, ami de longue date et réalisateur de films d’arts martiaux renommé qui a aussi incarné les personnages de nombreux films d’action. Cette œuvre se distingue surtout par ses scènes de combat rapproché particulièrement intenses et dépourvues d’effets spéciaux montrant les actes de violence avec réalisme.
© Cine21
D’après vous, à quel aspect le film Veteran doit-il son succès ?Et qu’est-ce qui vous a incité à y donner une suite neuf ans plus tard ?
J’ai été moi-même très surpris de sa réussite et j’avoue avoir eu du mal à la gérer. Au départ, je ne cherchais qu’à réaliser, dans un style qui soit le mien, un film procurant évasion et divertissement aux spectateurs coréens. À l’époque, comme il paraissait se faire l’écho de certaines questions sociales très sensibles, son succès au box-office a été phénoménal en partie de ce fait. Pendant le tournage, je m’étais beaucoup attaché à ses personnages, alors j’ai eu envie de les remettre en scène, mais le retentissement du premier film a été tel qu’il m’a freiné dans ce projet. Dans Veteran, l’opposition entre bien et mal est délibérément simpliste, ce qui a favorisé son succès, mais semble aujourd’hui manquer un peu de consistance. La volonté de justice qui anime le personnage principal, quoique héroïque, ne correspond plus à notre époque de complexité où la distinction est parfois floue entre le bien et le mal. À la suite de Veteran, nombre de films et séries réalisés en Corée ont traité de thèmes analogues avec beaucoup de succès, mais je n’ai pas souhaité poursuivre dans la même voie. Entre-temps, je m’étais ouvert d’autres horizons avec des projets de films comme le thriller politique Escape from Mogadishu que la Corée du Sud allait officiellement présenter aux Oscars 2021. Neuf années plus tard, que je n’ai presque pas vues passer, j’ai senti que le moment était venu de revenir à Veteran, mais avec d’autres perspectives et une démarche renouvelée.
Œuvre réalisée en 2013, The Berlin File se déroule au rythme haletant d’une course-poursuite provoquée une conspiration internationale. Saluée pour sa distribution exceptionnelle, ses scènes d’action inattendues et son scénario bien construit, elle constitue l’une des créations les plus marquantes du septième art coréen. Frère cadet du réalisateur, l’acteur Ryoo Seung-bum fait souvent figure d’alter ego de ce dernier à l’écran.
© CJ ENM
Dans cette suite, comment qualifieriez-vous le personnage ambigu de Park Sun-woo ?
Je lui ai volontairement donné certains traits de personnalité négatifs, tout comme il y a des aspects sombres dans l’intrigue, afin de faire réagir le public d’une manière ou d’une autre. Si ces aspects l’interpellent particulièrement, c’est que ce qu’il a vu l’a fait réfléchir et je souhaite justement atteindre ce but.
J’ai eu l’occasion de rencontrer un jour le grand cinéaste hongkongais Johnny To et, quand je lui ai demandé comment il réussissait à faire des films à la fois divertissants et pleins de suspense, il m’a tout simplement répondu : « Le héros ne doit pas être infaillible ». J’ai été impressionné et séduit par cette réponse brève, mais précise.
La plupart du temps, les personnages de films qui se font justice eux-mêmes en subissent les conséquences. Dans votre film, les choses ne sont pas aussi tranchées…
Vous soulevez un point intéressant. Dans mon film, le personnage principal n’est pas Park Sun-woo, mais le policier Seo Do-cheol. Ce qui fascine tant chez lui et le différencie de Sun-woo, c’est qu’il a beau haïr une personne au point de vouloir la tuer, il accomplit son devoir en toutes circonstances. À ses yeux, la véritable justice réside dans la protection de toute vie humaine, quand bien même serait-elle celle d’un criminel. Quant à Park Sun-woo, je n’ai pas souhaité en faire un personnage classique de méchant, car j’avais pour but d’opposer deux visions irréconciliable de la justice et d’analyser l’affrontement qu’elles entraînent. La manière dont on définit la justice dépend toujours du point de vue des parties concernées et du contexte historique où elle est mise en œuvre. Je n’adhère pas à l’idée qu’il n’existe qu’une seule vérité, qu’une justice absolue, et je cherche à inciter le public à remettre en question son système de valeurs plutôt qu’à lui imposer ma vision des choses en livrant un message tout fait.
En quoi cette suite se différencie-t-elle par son intrigue ?
En discutant avec les gens, on a souvent l’impression que la vie était plus tranquille et plus simple autrefois, alors que celle d’aujourd’hui est très difficile. Chacun se dit que les autres ont la vie plus facile ou qu’il y a moins de problèmes ailleurs, mais, quand on cherche à savoir comment se passent les choses, on se rend compte que des difficultés existent partout. Dans le cas de pays qui évoluent à un rythme rapide, il existe toujours un revers de la médaille. Mon film Veteran ne s’intéressait pas tant aux individus qu’à la société et au système dans leur ensemble. Le regard est différent dans la suite, qui met au contraire l’accent sur les personnes plutôt que sur la société. Dans la scène où la femme du policier vient en aide à une Vietnamienne et à ses enfants, par exemple, on n’est pas en présence d’une initiative d’ordre public, mais émanant de quelqu’un comme les autres. Quels que soient les côtés sombres ou désespérants de la société dans laquelle nous vivons, j’ai la conviction que tout espoir n’est pas perdu tant que se trouvent des personnes, ne serait-ce qu’une seule, pour être vigilantes et conscientes de ce qui se passe autour d’elles. Elles accomplissent ainsi autant de petites actions individuelles qui portent en elles les germes de changements bénéfiques. Je m’intéresse moins aux politiciens qui promettent de sauver l’humanité par de beaux discours qu’aux gens comme les autres qui prennent soin au jour le jour et en toute simplicité de leurs proches, de leurs amis et de leur communauté.
Avez-vous constaté une évolution dans l’importance de la jeune génération au sein de l’opinion publique ?
En Corée, la solidarité est profondément ancrée dans les mentalités principalement en raison de la situation géographique particulière du pays. Contrairement à ce qui se passe en Europe, où des voies de communication terrestre existent entre les pays, la Corée connaît un certain isolement par rapport au reste du monde et tout voyage à l’étranger exige de prendre l’avion ou le bateau, l’automobile ne permettant pas de franchir les frontières. La partition de la péninsule participe aussi de cette « insularité » et accentue parfois cette impression dans la population. Avec le temps, la solidarité nationale s’en est trouvée renforcée, car il fallait impérativement rester unis face aux défis qui se présentaient. La jeunesse d’aujourd’hui envisage les choses dans une optique différente, car, à la différence de ses aînés, elle est en lien direct avec le monde au moyen d’Internet et des réseaux sociaux. Elle peut à tout moment échanger sans difficulté avec des personnes vivant à l’étranger, ce qui la rend d’autant plus consciente de faire partie du village planétaire et témoigne d’une évolution en cours de l’idée de communauté, autrefois réservée au cadre national. Si l’impératif d’unité demeure, il évolue pour s’adapter au fait que les jeunes s’inscrivent aussi désormais dans un contexte mondial.
Un troisième volet de Veteran pourrait-il voir le jour ?
Actuellement, je travaille sur un projet de film d’action axé sur l’espionnage, où des agents secrets nord-coréens et sud-coréens s’affrontent lors d’une enquête sur des crimes survenus près de la frontière russe. Mes acteurs et moi discutons aussi en ce moment de la possibilité d’ouvrir un troisième chapitre de Veteran en fonction de l’accueil que fera le public à Veteran 2.
Film sorti en 2023, Smugglers situe dans les années 1970 une mystérieuse histoire de plongeuses sous-marines mêlées malgré elles à un dangereux trafic de contrebande. Ovationné pour cette captivante intrigue, il bénéficie en outre des excellentes prestations de ses acteurs et de décors d’éqoque méticuleusement reconstitués.
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